mardi 22 juin 2010

Taire

On a dit la surface de l’histoire. Elle ne s’est pas enfuie.
On n’a pas dit les détails. On n’a pas dit les sensations. L’essentiel : les dates, les noms, les faits.
Le reste viendra. À l’aurore de la nuit, on raconte, bribe par bribe, des éclairs de mémoire.
Ses paroles s’entremêlent aux nôtres. Ensemble, on jouit des révélations au compte-goutte. L’impression de préserver le début pour retarder la fin.
Chacune s’invente une image. Il y a des photos, des gens, des récits.
Il y a toutes les peurs qu’on ne dit pas et qui s’inscrivent dans les gestes.
Les regards suffisent. C’est l’histoire de nous qui s’installe, au travers des paroles inutiles.

mercredi 30 décembre 2009

Silence

L’intimité s’installe. On apprend les détails d’elle. On découvre, ravie, le souvenir de ses traits au fond de la mémoire. Elle est là, jusque dans l’éloignement de la vie ordinaire.
Quand on la retrouve, la fête éclate. Pendant un temps, on oublie encore l’enfance. L’avenir s’installe.
Un matin, elle se réveille avant nous. Elle fixe des yeux le petit cadre, l’unique objet laissé par la femme morte. Fabriqué main, un cœur encadré, avec des mots : « Je t’aime » et notre nom.
Elle demande qui nous a offert ce cadre.
On prend du temps avant de répondre. Pour elle, on veut trouver les mots exacts.

jeudi 29 octobre 2009

nuit

vers la brunante
noire écarlate
tes lèvres

attendre
dans tes yeux
le signal

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au profond de la nuit
ta voix
un souffle à peine
audible

haletante
des mots pour
éclore

doucement
le mauve des draps

*************

dans le noir du soir
un filet alto

là s’élève
la clarté des songes

tu te retournes

*************

vers l’aurore
entre rose et réveil
le murmure

ton bras sur
mon ventre offert

mercredi 28 octobre 2009

vers le vide

il faudra sauter inévitablement


en attendant
moi
j’hésite tout en bas
déjà épuisée
à force de demi-tours

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c’est muette que j’avance invisible pour moi-même, je mâche ma langue pour m’empêcher de dire que

non, je ne peux pas je dois me taire je ne sais pas pourquoi parce que tout le monde me force à parler tout le temps de

il y a quelque chose qui m’échappe comme quelque chose qui fuit mais je ne le trouve pas le trou qui laisse s’enfuir le

je voudrais que crier ce soit se taire

je pense à toi
ces mots de ton corps
interdits

pire encore
ceux du mien sur le tien
trop semblables

mes seins brûlent



à force silence, plus rien à dire
sauf
les yeux qui s’enfoncent
le cœur qui implose
et dans la gorge une boule de


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le sais-tu que demain
j'irai jeter mes mots
et je brûlerai au jour
ton visage en poèmes

ne tente pas de me retenir

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je rage j’avale je n’arrive pas à te crier au visage à cracher ma colère contre toi et l’effet de ton indifférence comme une rafale au visage un crachat sous l’œil droit quand je voudrais embrasser tes lèvres

et toi tu le sais tu le sens tout de moi transparaît dans mes traits
je ne suis pas ça pour toi et pourtant moi je m’effrite en même temps
le vois-tu au moins que je m’effrite de toi ?
le vois-tu que je meurs un peu plus chaque fois que tu me dis non, que tu me parles de lui ou d’elle ou de toi et que moi j’acquiesce
« Oui oui je comprends tu vas voir tu vas aller mieux, viens on va aller marcher, viens on va aller faire ce que tu veux tout le temps, tout le temps, non moi ça va ne t’inquiète pas »

mais je ne dors plus
je rêve à toi
le sais-tu

je deviens invisible inatteignable inadmissible
un nuage qui s’élève au-dessus de tout ce qui existe de tout ce qui se palpe
je suis intouchable
tu peux bien partir je m’en fous
va t’en c’est ça oublie-moi
je m’en fous tellement
va t’en
jusqu’à


« oui quoi c’est toi ça ne va pas viens prends ma main
on va aller marcher »


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j’ai encore craché
des mots en cascades
pour m’étouffer

j’ai couru au précipice
parce que la marche trop lente
oblige à réfléchir

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la chute n’a rien effacé
mais
le vertige m’a remplie de vide

peut-être que ma tête n’explosera pas

le fourmillement dans le ventre
était
une tristesse ivre

pendant un instant je n’ai plus pensé à toi


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j’ai tout effacé
jusqu’à la dernière trace
il ne reste que des phrases
et comme elles sont inutiles
console-moi

quand je crie
arrête le temps
du vertige en chutes libres

j’ai tout supprimé
jusqu’à tes mains
il ne reste que ton souffle
et comme il est court
ne me parle pas

serre-moi fort seulement
une minute
si ce n’est pas impossible

j’ai tout caché
jusqu’à demain
il ne reste que la marque
et comme elle s’estompe
allume une cigarette

tends-la moi
reste encore
je ferai du café
reste, je te le jure :
ne voudrai plus jamais sauter

reste
je te le jure
reste

et peu à peu
nous serons pris d’un grand éclat de rire

il faudra tout recommencer


jeudi 24 septembre 2009

Résistance

Au réveil, sa main encore glissée entre nos cuisses. Elle dort. Au creux du ventre, les monarques s’affolent. Les jours s’accumulent au bout de nos doigts. Huit, neuf, dix depuis que les regards se sont happés.
Mille inconnus entre nous. Même son odeur n’a pas fait son nid au creux des jours d’absence. On ne sait ni sa date de naissance ni ses fleurs favorites ni ses rides ni ses peurs.
On ne sait pas encore dormir avec elle contre nous.
On n’a rien dit de l’existence de la femme pendue. Pour la première fois, on a gardé secrète l’histoire de l’enfance. Il n’y a pas d’urgence; elle n’est pas partie pendant l’assoupissement.
On ne veut pas dire. On ne veut pas effrayer. On continue à pousser loin au bout de nos bras le cadavre suffoqué. On ferme les yeux en serrant les paupières.
Un jour, on dira.
Un jour, on apprendra qu’elle aussi a déjà été une enfant.

lundi 21 septembre 2009

Quiétude

Longtemps. Longtemps à pousser loin le souvenir d’elle et les images. On se dit : « une simple pause ». On se dit : « pour mettre à distance ». Se convainc d’avoir choisi.
Pendant l’entracte, derrière un nuage de fumée, un nouveau visage de femme s’est révélé. Pour la première fois, rien de furtif. On guette la disparition. Elle n’arrive pas. La peur de perdre s’enfle avec tout ce qui naît, puis meurt, à l’horizontale, au contact des lèvres quand les doigts s’emmêlent.
La peur devient vagues et ressac. On se laisse flotter. Emporter jusqu’à l’horizon noir des nuits d’automne.
Dans le silence des ses yeux fixés aux nôtres, la suspension du temps.
On soupire jusqu’à s’envoler la tête.

jeudi 20 août 2009

Cahier 6 avril 2008

Je viens de retrouver ces deux pages de texte, que j'ai dû écrire dans un cahier. Le titre du document: cahier 6 avril 2008. Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrit. Mais aujourd'hui, près d'un an et demie plus tard, il me touche énormément.

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6 avril 2008

C’est la fête de ma grand-mère.
Je l’ai appelée. Je l’ai vue hier.
Elle m’a dit : « Tu viendras me voir.
Je prépare mon testament.
Je veux savoir ce que tu veux. Dans les livres. »

C’est le jour de sa fête et elle prépare son testament.

Je crois que ma grand-mère n’a pas d’inspiration.

L’inspiration, c’est le souffle de la vie.
Le bouche-à-bouche à l’âme qui menace de mourir.

Au fond, je me dis que l’inspiration n’existe peut-être pas. Ce qui existe, c’est l’acuité du regard que l’on décide de poser sur le monde.

Ce qui existe, c’est la décision de vaincre la douleur tous les jours, celle de tasser du bras le corps qui pend dans le garde-robe pour prendre son vêtement préféré. C’est mettre son plus beau pantalon, celui qu’on ne met que pour les funérailles, et aller sauter dans les flaques d’eau boueuse.

Ce qu’on appelle « l’inspiration », au fond, c’est un archivage de photographies immatérielles, un album photo, ou comme l’écrit Louise Dupré, un « album-souvenir » dans lequel on peut aller puiser une ou quelques images et partir de là pour créer ou expliquer une théorie complexe.


Dans mon album, il y a ce que les spécialistes littéraires appellent des « biographèmes », qui sont un peu, dans le film de notre existence, ce que Barthes appelait « punctum » d’une photographie.

Je vous en note quelques uns, pour vous autant que pour moi.

- La femme morte, évidemment, qui s’est pendue quand j’avais huit ans dans le garde-robe de ma chambre.
Ça, on ne peut pas dire que c’est de l’inspiration.
- Mon enfance à la campagne. Je me sens intrus dans cette appellation, dans cette volonté de dire que j’ai grandi là-bas, et pourtant, j’appartiens à cet espace.
-


je n’arrive pas à me souvenir aujourd’hui

Je suis triste. Je suis rarement triste, mais ça fait deux fois dans les cahiers.

Je suis triste comme on est triste au printemps quand on est seul. J’aimerais être amoureuse, j’aimerais être capable de ça. J’aimerais qu’on soit amoureuse de moi.

Ce qui manque le plus, c’est le contact physique. Je sais à qui je m’adresse, ce n’est pas votre situation. Je ne sais pas grand-chose de votre situation.

Couchez-vous sur votre lit, sur le dos ou sur le ventre. La seule chose que vous pouvez serrer dans vos bras, c’est un oreiller. Ou une couverture, peut-être.

Un « amant de paille », écrirait Mélanie Gélinas.

Couchez-vous sur le lit et imaginez que personne n’a touché votre corps depuis avant la nouvelle année. Questionnez chacun des senseurs de votre épiderme. Sentez-les appeler le toucher de l’autre, sa présence. À la limite, il n’y a rien là de sexuel. Tout ce qui importe, c’est l’absence de la présence.

Dites-vous qu’il n’y aura personne pour vous toucher avant très longtemps. Vous n’aurez personne à toucher non plus, personne à qui offrir l’affection qui déborde de votre corps.

Ça crée comme une tension électrique en vous.

Vous devenez chargé à bloc, surchargé d’un trop plein à déverser. Le barrage menace de sauter, mais il tient bon, les eaux montent, montent en vous, et vous retenez le trop plein, vous n’allez pas vous mettre à pleurer juste parce que c’est le printemps et que vous êtes seul, après tout ce n’est pas la première fois que ça vous arrive.

Vous êtes là dans votre lit et vous imaginez encore une fois que telle ou telle personne sonne à la porte de chez vous et vous dise : viens, on va juste faire une sieste, collées.

Et vous dormez toute la nuit avec vos lèvres posées sur son épaule, ou sa main sur votre ventre, ou vos jambes enlacées aux siennes ou votre tête au creux de son épaule et vous n’avez pas eu envie ou besoin tout de suite de faire l’amour, ce n’était même pas ça qu’il vous fallait.

Le lendemain matin, vous ne savez pas à quel moment la petite caresse sur le bras est devenue un mouvement de tout le corps. Vous ne savez plus quand les bouches se sont rencontrées pour la première fois, dans l’escalier ou dans le lit ou dans la douche, de ça vous ne savez rien.

Tout le jour suivant, vous le passez au lit avec cette personne, sous un rayon de soleil qui promet l’été.


Maintenant, ouvrez les yeux. Votre corps demande encore la présence de l’autre.

Vos yeux brûlent tout à coup, et c’est l’inondation.

Tout ce que vous pouvez faire, c’est écrire. Et désirer être dans le texte.