jeudi 20 août 2009

Cahier 6 avril 2008

Je viens de retrouver ces deux pages de texte, que j'ai dû écrire dans un cahier. Le titre du document: cahier 6 avril 2008. Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrit. Mais aujourd'hui, près d'un an et demie plus tard, il me touche énormément.

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6 avril 2008

C’est la fête de ma grand-mère.
Je l’ai appelée. Je l’ai vue hier.
Elle m’a dit : « Tu viendras me voir.
Je prépare mon testament.
Je veux savoir ce que tu veux. Dans les livres. »

C’est le jour de sa fête et elle prépare son testament.

Je crois que ma grand-mère n’a pas d’inspiration.

L’inspiration, c’est le souffle de la vie.
Le bouche-à-bouche à l’âme qui menace de mourir.

Au fond, je me dis que l’inspiration n’existe peut-être pas. Ce qui existe, c’est l’acuité du regard que l’on décide de poser sur le monde.

Ce qui existe, c’est la décision de vaincre la douleur tous les jours, celle de tasser du bras le corps qui pend dans le garde-robe pour prendre son vêtement préféré. C’est mettre son plus beau pantalon, celui qu’on ne met que pour les funérailles, et aller sauter dans les flaques d’eau boueuse.

Ce qu’on appelle « l’inspiration », au fond, c’est un archivage de photographies immatérielles, un album photo, ou comme l’écrit Louise Dupré, un « album-souvenir » dans lequel on peut aller puiser une ou quelques images et partir de là pour créer ou expliquer une théorie complexe.


Dans mon album, il y a ce que les spécialistes littéraires appellent des « biographèmes », qui sont un peu, dans le film de notre existence, ce que Barthes appelait « punctum » d’une photographie.

Je vous en note quelques uns, pour vous autant que pour moi.

- La femme morte, évidemment, qui s’est pendue quand j’avais huit ans dans le garde-robe de ma chambre.
Ça, on ne peut pas dire que c’est de l’inspiration.
- Mon enfance à la campagne. Je me sens intrus dans cette appellation, dans cette volonté de dire que j’ai grandi là-bas, et pourtant, j’appartiens à cet espace.
-


je n’arrive pas à me souvenir aujourd’hui

Je suis triste. Je suis rarement triste, mais ça fait deux fois dans les cahiers.

Je suis triste comme on est triste au printemps quand on est seul. J’aimerais être amoureuse, j’aimerais être capable de ça. J’aimerais qu’on soit amoureuse de moi.

Ce qui manque le plus, c’est le contact physique. Je sais à qui je m’adresse, ce n’est pas votre situation. Je ne sais pas grand-chose de votre situation.

Couchez-vous sur votre lit, sur le dos ou sur le ventre. La seule chose que vous pouvez serrer dans vos bras, c’est un oreiller. Ou une couverture, peut-être.

Un « amant de paille », écrirait Mélanie Gélinas.

Couchez-vous sur le lit et imaginez que personne n’a touché votre corps depuis avant la nouvelle année. Questionnez chacun des senseurs de votre épiderme. Sentez-les appeler le toucher de l’autre, sa présence. À la limite, il n’y a rien là de sexuel. Tout ce qui importe, c’est l’absence de la présence.

Dites-vous qu’il n’y aura personne pour vous toucher avant très longtemps. Vous n’aurez personne à toucher non plus, personne à qui offrir l’affection qui déborde de votre corps.

Ça crée comme une tension électrique en vous.

Vous devenez chargé à bloc, surchargé d’un trop plein à déverser. Le barrage menace de sauter, mais il tient bon, les eaux montent, montent en vous, et vous retenez le trop plein, vous n’allez pas vous mettre à pleurer juste parce que c’est le printemps et que vous êtes seul, après tout ce n’est pas la première fois que ça vous arrive.

Vous êtes là dans votre lit et vous imaginez encore une fois que telle ou telle personne sonne à la porte de chez vous et vous dise : viens, on va juste faire une sieste, collées.

Et vous dormez toute la nuit avec vos lèvres posées sur son épaule, ou sa main sur votre ventre, ou vos jambes enlacées aux siennes ou votre tête au creux de son épaule et vous n’avez pas eu envie ou besoin tout de suite de faire l’amour, ce n’était même pas ça qu’il vous fallait.

Le lendemain matin, vous ne savez pas à quel moment la petite caresse sur le bras est devenue un mouvement de tout le corps. Vous ne savez plus quand les bouches se sont rencontrées pour la première fois, dans l’escalier ou dans le lit ou dans la douche, de ça vous ne savez rien.

Tout le jour suivant, vous le passez au lit avec cette personne, sous un rayon de soleil qui promet l’été.


Maintenant, ouvrez les yeux. Votre corps demande encore la présence de l’autre.

Vos yeux brûlent tout à coup, et c’est l’inondation.

Tout ce que vous pouvez faire, c’est écrire. Et désirer être dans le texte.