vendredi 19 juin 2009

Oubli

Il y a des souvenirs sur le bout de la langue.
Un mot suffit, un seul. Et survient l’image enfumée d’un reflet. Furtivement, la certitude de quelque chose. Une précision insaisissable.
Parfois, un appel, un message, une voix. L’essence pressentie s’estompe, il y a toute la vie autour. On ne peut continuer à attendre passivement la crue des passés.
Longtemps, il n’y a rien qui nous rappelle l’évanescence.
Tout se passe comme au souvenir d’un rêve au milieu du jour. Il y avait une couleur, un mot. Il y a parfois eu des sensations, les poils qui se dressent ou le ventre qui papillonne.
Mais au final, on ne trouve rien.
On se console en pensant à la sélection naturelle des souvenirs.
Un jour, il y aura peut-être un fossile de l’inachevé.

jeudi 11 juin 2009

(entorse à l'abécédaire)

J'ai retrouvé ce texte en fouillant dans mon ordinateur. C'est un premier jet, pas retravaillé du tout, qui date d'il y a deux ans, presque jour pour jour. Je venais alors de déménager dans l'appartement que je quitte dans une semaine. Bien des choses ont changé, depuis. Moi aussi. Mais vous y trouverez la romantique finie que je suis...

***

J’étais certaine que c’était des tests pour les feux d’artifice. Je n’avais pas pensé à des éclairs, malgré la chaleur accablante qui pesait sur la ville depuis quelques jours. Au début de l’été, j’ai toujours tendance à oublier que ça existe, les orages de chaleur. En fait, chaque année, j’oublie ce que transporte chaque saison.

Je fais souvent des rêves de tornades. Elles s’avancent vers moi et je suis la seule à avoir peur, à trouver ça inquiétant. Tous les autres peuvent continuer à s’amuser, moi, j’en suis incapable. Finalement, dans mes rêves, c’est moi qui ai raison. Il fallait se méfier de ce qui s’en venait. Ce qui est toujours extraordinaire, c’est que ces tornades, multiples, que je vois à l’horizon, sont magnifiques. Finalement, une se détache du lot et s’avance vers nous. La plupart du temps, elle détruit l’environnement, mais pas nous, on arrive à se cacher à temps dans un sous-sol. Personne n’est atteint. Personne ne meurt. Et je me réveille.

Ils disent sur cyberpresse qu’il y a eu une tornade qui a été aperçue à Louiseville aujourd’hui. Dans mon dernier rêve de tornade, il y avait Louise de mon boulot, c’est quand même un drôle de hasard. Je ne dois pas commencer à croire à ces sornettes de divination.

Alors si on résume, dans la même journée, il y a eu la tornade à Louiseville et l’orage de chaleur. Et Pauline Marois couronnée à la tête du Parti québécois. Ça fait une grosse journée, quand on y pense. Avec les feux d’artifice, en plus…

J’étais supposée aller voir les feux avec elle, comme la semaine précédente, mais finalement, à cause de la pluie qui menaçait de tomber – en nous libérant enfin de la chaleur accablante – on a décidé de remettre ça. Elle m’a dit : je pourrais venir visiter ton appartement. J’avais emménagé trois semaines et demie auparavant. Évidemment, je lui ai dit qu’elle était la bienvenue. J’ai attendu que la sonnette retentisse. Quand elle est arrivée, il avait commencé à pleuvoir. Je lui ai passé quelques vêtements de rechange, trop grands, pendant que son linge tournait dans la sécheuse. Je lui ai fait visiter l’appartement, puis je l’ai invitée à s’asseoir sur mon balcon, sous le petit toit, pour profiter de la fraîcheur que la pluie amenait. Elle n’avait pas l’air vraiment rassurée, avec le bruit du tonnerre, mais elle n’a pas protesté. Nous nous sommes installées sur les chaises de patio, devant le parc et nous avons attendu les prochains éclairs. C’était un peu comme des feux d’artifice, mais en plus effrayant. Nous avons bu un verre, fumé une cigarette. Normalement, elle ne fume pas, mais cette fois, j’ignore pourquoi, elle a pris quelques bouffées de ma cigarette.

Les orages et la pluie me donnent toujours envie de me coucher en boule dans mon lit, c’est encore mieux quand on est deux, collées, et qu’on peut parler un peu. Je lui ai dit ça, et elle m’a regardée dans les yeux en me disant : « Mais pourquoi on ne le fait pas? » J’étais estomaquée. Je ne pensais pas qu’elle allait me répondre ça. En moins de deux, on était dans mon lit, couchées sur les couvertures, à cause de la chaleur. Elle s’est collée à moi. C’était un mélange de tendresse et de peur de petite fille qu’il y avait dans tout son corps. J’ai fermé les yeux pour sentir un peu mieux son odeur. J’ai enlevé mes lunettes que j’ai posées sur la table de chevet. Pour faire ça, il fallait que je m’étire par-dessus elle. J’essayais de ne rien brusquer, mais elle a profité de ma situation pour enserrer ma taille. Je n’ai pas pu faire autrement que de m’abandonner un petit peu contre elle. Elle m’attirait vraiment beaucoup, depuis longtemps. Pas si longtemps, au fond, mais j’avais l’impression que ça faisait longtemps. Comme si avec elle le temps était plus long, mais pas dans un sens péjoratif. Seulement un peu plus long qu’à l’habitude, comme si on pouvait prendre notre temps. Je lui ai demandé : « Tu es bien? » et elle a dit « Oui ». Nous nous sommes endormies, enlacées.

Nous avons filé toute la nuit comme ça, serrées l’une contre l’autre malgré la chaleur. Au réveil, nous n’avions pas bougé. Toutes les deux insomniaques depuis le début de la canicule, nous avions réussi à nous reposer. Comme je me suis réveillée avant elle, j’ai entrepris de la réveiller tranquillement, en caressant son corps. Peu à peu ses yeux se sont ouverts. Quelques fractions de secondes m’ont laissé comprendre qu’elle ne savait pas trop où elle était. Puis elle s’est rappelé la veille. Elle a répondu à mes caresses. Ça a pris quelques minutes avant qu’on s’embrasse pour la première fois. Je serais restée comme ça longtemps, juste mes lèvres accrochées aux siennes. On a fait l’amour. On a fait du bruit, je crois, parce que quand je me suis pointée dans la cuisine, pour partir du café, mes colocataires me regardaient avec un air entendu. J’ai fait mine de rien, j’ai parti le café et je suis retournée dans ma chambre. Elle était assise sur le lit, nue, les genoux sous le menton. Elle m’a regardée longtemps. M’a dit : « On est pas toutes seules? » Je lui ai dit pour l’air étonné de mes colocs, ça l’a fait rigoler. On a ri ensemble, et, inévitablement, on s’est encore retrouvées au lit, oubliant le café qui bouillait sur la cuisinière. Heureusement que mes colocs étaient là pour s’occuper de la napolitaine. Sa peau goûtait le sel à cause de la chaleur qu’on avait eue la vielle. Heureusement, avec l’orage, l’air s’était allégé. On a décidé d’aller prendre notre douche avant de faire d’autre café. Pour ça, il fallait passer devant le salon, les chambres des colocs et par la cuisine. Inévitablement, il fallait nous montrer.

Elles étaient assises dans la cuisine, elles discutaient de l’élection de Pauline Marois à la tête du Parti québécois, ou des tornades à Louiseville, je ne sais plus. Moi, je n’avais pas rêvé de tornades, cette nuit-là. Elles m’ont vue entrer dans la cuisine, m’ont souri, avec un air entendu. Quand elles l’ont vue me suivre, leur visage a un peu changé. Je la leur ai présentée, elles ont fait mine de rien, la saluant poliment. Moi je savais bien que ce n’était pas ce à quoi elles s’attendaient. On est rentrées dans la douche, mine de rien. Elle m’a questionnée du regard. J’ai dit : « Elles s’attendaient pas à ce que tu sois une fille. » Elle a demandé : « Elles ne savent pas? » J’ai répondu : « Non. Moi non plus avant je ne voulais pas le savoir tant que ça. »

Elle ne savait pas que pour moi c’était la première fois avec une fille. Elle était étonnée. En même temps, je crois que ça l’excitait. En plus de savoir les deux filles étonnées. Je lui ai assuré que les filles n’en seraient pas scandalisées ou dérangées. Qu’il fallait peut-être leur laisser du temps. À nous aussi d’ailleurs.

On a passé trois jours complets ensemble, sans se quitter d’une semelle. Sans quitter vraiment mon lit non plus, sauf pour nous nourrir et nous laver. Quand elle est repartie de chez moi parce qu’inévitablement il fallait que la vie – j’entends par là le travail – reprenne son cours, ça a fait un vide. En quelques secondes à peine, j’arrivais à m’ennuyer d’elle, de sa présence, de son regard, de son corps, aussi. Mes colocs avaient besoin d’une petite mise au point. On s’est assises dans le salon. Je leur ai dit que j’étais bien avec elle. Elles m’ont dit : « Tu seras l’homme de l’appart. » Tout simplement, je leur ai répondu « non », je savais que ce n’était pas ça. Elles ont compris, je crois. On s’est débouché des bières pour fêter un peu le fait que j’aie quelqu’un dans ma vie. Je me trouvais vraiment chanceuse d’habiter là. Elles m’ont dit, au cours de la soirée : « Elle est belle, en tous cas. »

Après quelques bières et un « joint de la victoire » comme elles disent, j’ai été heureuse de retrouver son odeur dans mon lit.