lundi 24 novembre 2008

11 - tout se tamise

aux aguets du silence
j’écoute des sons qui ne viendront pas

tout se tamise

le fleuve gèlera
jusqu’aux embâcles
la crue guette les villages
les larmes menacent les rigoles le cou
ça s’accumule de mer salée dans les trous des trapèzes

je m’apaise de surdité
j’ai peur des foules des regards des mots

je voudrais crever les eaux
en solitude

ii - deuxième neige

La deuxième neige tombe ce soir. Rue Lajeunesse, juste au nord de Crémazie, devant le pub du métro, une fille à dit à un gars : « C’est la première neige ». Elle ne savait rien de son erreur, moi, je me rappelais la première fois.

C’est beau ce soir. C’est le silence de la neige que j’aime. Tout devient sourd, étouffé. On marche dans la rue et tout est calme. C’est la première neige sans de la pluie dedans.

J’avais sorti depuis quelques jours mon manteau d’hiver, mais toujours pas mes bottes. Mes souliers crissaient à chaque pas, à chaque pas s’imprimant dans la pellicule blanche qui n’avait pas encore été marquée. Comme si j’ouvrais une marche.

Je n’avais pas imaginé que les choses aient changé entre la première neige et la seconde. Les choses n’ont peut-être pas tant changé, c’est peut-être seulement moi qui ne suis plus à la même place. Il y a eu un léger déplacement.

La deuxième neige tombe ce soir et je pense encore à toi. Mais la douleur s’est atténuée. Ton absence est moins oppressante. Il y a des moments où je me surprends à ne pas penser à toi. Chaque fois l’impression d’une victoire et, en même temps, le sentiment de faire un pas vers l’arrière.

J’ai besoin de silence. J’ai besoin que les choses autour de moi ne bougent pas sans arrêt. Qu’il y ait des moments de pause, où je peux lever le regard et prendre le temps d’imprimer dans mon être les détails de ce qui m’entoure.

J’aurais encore envie, tout le temps, qu’un corps se colle au mien. Mais je commence à envisager un corps autre que le tien. Il est difficile de trouver une substitution dans le fantasme. Je n’arrive pas à imaginer un corps que je ne connais pas, que j’inventerais, avec au bout une tête qui pourrait être n’importe laquelle. J’ai envie de quelqu’un de vrai.

Demain, j’ai pris congé. Après huit jours consécutifs de travail, après les foules du Salon du livre, je boirai, seule, un café au lait ou un thé Genmaicha en regardant le parc et la neige accumulée. Je ne sais pas combien de temps la neige restera au sol, je me dis que cette fois, c’est peut-être pour de bon. Nous en avons pour un bon cinq mois.

Je me demande où je serai lorsque la neige fondra. Je me demande si je serai seule à regarder les glaçons dégoutter. J’imagine que oui, mais sans trop de douleur. Parce que, ce soir, ça va. Au jour le jour.

Peut-être que j’écrirai de la poésie.

jeudi 30 octobre 2008

i - Première neige

Ça doit faire... un an, un an et demie que j'ai pas écrit quelque chose qui ressemble à une nouvelle. Je vous demande un peu d'indulgence. C'est un tout premier jet, à peine écrit, j'ai eu une envie folle de le publier, question de voir ce qui en est...

J’avais imaginé, je sais pas, voir la première neige cette année avec toi. Tsé, la première neige qu’on attend pas, quand on porte encore nos snikes pis notre manteau d’automne. On aurait été là, à marcher sur le bord du parc et on aurait vu les premiers flocons tomber. J’aurais dit : « y neige » pis t’aurais répondu : « C’est beau. » Vu qu’on aurait pas encore sorti nos manteaux d’hiver, je t’aurais demandé si t’avais froid pis tu m’aurais répondu que oui, t’avais froid, alors peut-être que je t’aurais prise dans mes bras, rendues à la lumière au coin de la rue, pour te réchauffer. Ça aurait été un début, au moins.

Je sais pas sur le bord de quel parc on aurait marché, mais sans même se le dire on serait rentrées à pied chez celle qui aurait habité le plus proche. L’une aurait proposé un verre à l’autre, dans l’absolu, on aurait même peut-être fait un feu de foyer, mais pour ça il aurait fallu qu’on soit à NDG, Westmount ou à la campagne. Chez nous, j’ai pas de foyer, t’imagines, j’ai même pas de bain, juste une douche minuscule dans une salle de bain où le thermostat se met automatiquement à 8 degrés Celsius chaque fois que je le programme pour qu’y fasse au moins 20. Ça me choque, maudit, le matin, c’est infernal pour prendre sa douche pis s’arranger pour aller travailler.

Alors l’une aurait proposé un verre à l’autre pis on se serait assises sur un sofa pis on se serait collées. Y fait frette à soir sur mon sofa devant pas de feu de foyer. Avec pas toi collée sur moi.

J’te dis pas ce qu’on aurait fait après, sauf que peut-être que j’aurais joué dans tes cheveux pis qu’on se serait regardées en souriant comme si c’était normal. Pis comme si c’était normal, ben on se serait embrassées pour la première fois, on aurait posé les verres, on se serait foutues du froid sur nos peaux de plus en plus mises à nu. De toutes façons, avec le foyer, il aurait commencé à faire chaud.

C’est peut-être plutôt ça. Je t’aurais invitée à ma maison de campagne – j’en ai pas, pas plus que j’ai un char pour se rendre, mais t’es pas là alors on peut ben imaginer – pis après le souper on serait allées prendre une marche sur le chemin de terre, y’aurait fait ben noir déjà, à campagne y fait plus noir pis plus vite qu’en ville. Il aurait commencé à neiger, peut-être même qu’on aurait entendu du bruit à notre gauche dans la forêt. Toute le reste tient encore dans ce rêve-là, rentrer à la maison, le foyer, le petit verre…

Le lendemain matin, on se serait réveillées dans mon lit, on aurait dormi en cuiller, j’aurais mis mon nez dans le creux de ta nuque pour sentir ton odeur, un peu de crème pour les cheveux mêlée avec de la sueur. Mon maudit thermostat dans ma chambre aurait encore fait le con, la chambre aurait été à 17 degrés Celsius, on aurait pas voulu se lever trop vite.

Je t’aurais fait un café avec une machine italienne qu’on met sur le feu. Même si j’ai pas de maison à la campagne, c’est pas grave, ça je peux faire ça dans mon appartement. Mes colocs auraient pas été là si on avait été en ville pis chez moi. Chez toi, pareil, mais c’est toi qui serait allée faire le café et je me serais levée sans faire de bruit pour aller me coller à ton dos devant la cuisinière. Je t’aurais embrassée dans le cou, là où mon nez aurait passé la nuit à essayer de me rappeler de ton odeur au cas où ce soit la seule nuit que je passerais avec toi.

C’est ça, pis après, les jours se seraient enchaînés comme ça, il aurait continué à neiger et le dimanche on aurait écouté Beau Dommage en se faisant à déjeuner, à Chinatown, t’aurais dit : « C’est notre toune! ». On aurait fait l’amour des fois en plein après-midi pis on aurait parlé d’Annie Ernaux pour qui c’est le plus grand luxe. Tu m’aurais tout raconté de ton enfance passée dans une autre ville, de ton arrivée ici, moi je t’aurais raconté mes fins de semaines et mes étés à la campagne. Des fois on serait sorties avec des amis pis tout à coup, Noël pis le Jour de l’An seraient arrivés pis on aurait pas pensé à ce qu’on allait faire, si on allait dans ta famille ou la mienne, ou encore si on attendait à l’année suivante pour mélanger nos familles. Peut-être même que nos familles auraient même pas encore su qu’on se fréquentait, on aurait passé les fêtes loin l’une de l’autre en s’ennuyant, toi dans ton autre ville, moi ici encore à me dire que l’autre ville doit être belle.

J’avais imaginé qu’à la première neige ma vie aurait changé. La première neige est tombée; je m’y attendais un peu, une collègue m’avait avertie : mercredi, y va avoir une tempête. Ils se sont trompés d’une journée, la neige est tombée mardi soir, mercredi matin, il y avait une petite accumulation dans le parc derrière chez moi.

Quand la première neige est tombée, moi je marchais sur le bord de la 40 pour rentrer chez moi, avec un parapluie parce qu’en même temps qu’y neigeait, y pleuvait aussi. J’avais pas encore sorti mon manteau, j’avais des souliers en cuir qui ont cessé d’être des souliers neufs en trois secondes. J’ai failli m’envoler au coin de Lajeunesse pis de Crémazie, j’ai pensé à mon brigadier qui reste ben planté là tous les matins. Dans la poubelle devant la caisse Desjardins, y devait avoir une bonne dizaine de parapluies brisés.

Je suis rentrée chez moi toute trempe, toute seule, j’avais pas de message sur mon répondeur ni dans ma boîte de courriels. J’ai pensé que t’avais dû voir la première neige, toi aussi, mais que t’avais pas dû penser à moi.

J’ai voulu me faire une tisane pour me relaxer et me réchauffer. J’avais pas encore vraiment assimilé que mon ancienne coloc était revenue chercher ses affaires après six mois de voyage, j’ai cherché la bouilloire pendant un bon trois minutes pour me rappeler que je l’avais vue partir avec la fois où elle était venue chercher ses affaires. J’ai fini par me faire bouillir de l’eau dans une casserole, mais la casserole était mal rincée pis y restait du savon dans le fond, je m’en suis pas aperçu tout de suite. Mon coloc, lui, y mesure quasiment 7 pieds, fait qu’en faisant du ménage il avait rangé ma théière dans la petite armoire en coin, sur la dernière tablette du haut. Après m’être étiré un muscle en tentant d’atteindre ma théière, j’ai fini par réussir à me faire ma tisane, mais ça goûtait le cul, un mélange de savon melon-concombre et de tisane bonne nuit.

Je me suis installée dans mon salon pour regarder la télé, mais depuis deux mois, je sais pas pourquoi, le câble monté de chez la proprio marche plus. Elle a dû s’abonner à Illico la télé sur demande. J’ai tourné les postes, le 2, le 10, le 12, le 68 pis le 86. Y’avait rien à part Serge Postigo en double qui parlait d’un show, mais j’ai manqué le début alors je savais même pas de quel show y parlait. Rendue là, j’étais plus stressée que relaxée, j’ai décidé de fermer la télé, de plus boire ma tisane pis d’aller me coucher. En petite boule dans mon lit, c’est pathétique, mais au moins, couchée comme ça, y fait chaud.

J’ai rêvé à toi toute la nuit, je t’épargne les détails, mais tu marchais vers moi dans une tempête de neige en disant : « T’es ben p’tite », pis le blizzard était tellement fort que tu commençais à disparaître peu à peu, jusqu’à ce que je te vois plus mais que j’entende ta voix m’annoncer qu’il y avait un bouchon sur Décarie à la hauteur du viaduc Monkland pis qu’y fallait être ben vigilants sur la 40 parce que le vent était fort.

Je me suis levée quand les nouvelles du sport ont commencé. Sur le parc, il y avait encore un peu de neige, mais elle fondrait toute au cours de la journée, qui a vu une première neige qui reste au sol plus que 24 heures? Ma coloc dormait, mon coloc était déjà parti, quand je suis rentrée dans la salle de bain, j’ai mis les deux pieds dans une flaque d’eau à 8 degrés, de la vieille eau de corps de la douche de mon coloc. J’ai sacré, j’ai fini de me préparer en me disant que je prendrais un café en chemin au Couche-Tard, j’ai sorti mes bottes et mon manteau d’hiver. Au coin Lajeunesse et Crémazie, mon brigadier était là, il m’a dit bonjour, comme tous les matins, on a parlé un peu de choses et d’autres, puis j’ai continué mon chemin en évitant tous les donneurs de journaux gratuits. Dans le métro, y faisait chaud, j’ai sué dans mon manteau et je me suis dit que j’aurais peut-être plus de chance au printemps.

samedi 4 octobre 2008

10. rien

je ne sais rien
ni de toi ni
de moi

j’aimerais savoir j’aimerais
que tu saches
qu’on se le dise ce qu’on sait

je ne sais rien de moi
face à toi
mais je tremble

j’invente






j’invente tes yeux
j’invente ta bouche
et tes épaules et ton sexe et tes mains
j’invente tout
nous deux


mais tu ne sais rien

mardi 16 septembre 2008

9. huit morceaux

au bord de la gorge
ça s’étouffe
(souper marche confitures regards cinéma camisole escaliers appartement salon miroir balcon règles messages attente attente)
corps

sur le babillard
tout près
une voix

huit morceaux
la seule trace déchirée
par cœur

petite vengeance
juste pour moi
ne change rien

l’amour s’effrite
une colère
sombre ravalée

les objets
lieux
investis

balayer tout
refaire
les omissions

on dit : « faire le deuil »
moi : « bull shit »

mardi 2 septembre 2008

8. dans un parc

dans un parc
l’écho d’une bataille

un chat copule
c’est peut-être
des cris d’enfant

il est minuit
ou encore sept heures

tu m’habites

sur le parc St-Alphonse retombe la poussière de l’autoroute
les arbres ne sont pas gris, sauf les jours de grand vent
quand les feuilles se retournent pour s’offrir
j’en ai vu une tomber cet après-midi
ce n’est pas encore l’automne

viens, appelle
d’ici on voit tout

je t’attends

rue Lajeunesse ce soir le soleil s’est couché rose et mauve
direction nord, yeux arrimés au bout du monde, j’ai pensé
ton bras sur ma hanche vers les couleurs de brunante
mon bras sur ton épaule nos corps collés
un arrêt un regard nos bouches

dans le parc
un banc vide

à côté
un arbre écorché

un avion passe

lundi 11 août 2008

7. salive aux lèvres

EN UNE SEULE PHRASE NOMBREUSE

Je demande pardon aux poètes que j'ai pillés
poètes de tous pays, de toutes époques,
je n'avais pas d'autres mots, d'autres écritures
que les vôtres, mais d'une façon, frères,
c'est un bien grand hommage à vous
car aujourd'hui, ici, entre nous, il y a
d'un homme à l'autre des mots qui sont
le propre fil conducteur de l'homme,
merci.

Gaston Miron


salive aux lèvres

toi, ma langue de nuit
je te dis à la clôture du jour
sans savoir si t’attendre
existe encore

toi, ma salive aux lèvres
je veux goûter notre miction
ton arôme, la mienne
humectées au palais

toi, ma saveur ritournelle
je convoque ta chair
plus goûteuse chaque soirs
dans la fermeture des paupières

souffle, entre mes dents serrées,
tu assèches ma gorge

mardi 8 juillet 2008

6. les cigales

les cigales, les premières cigales, peut-être n’ai-je pas entendu les autres qui chantaient hier; chaque été la même histoire arrive avec mes premières cigales, premières grandes chaleurs, premiers corps qui collent et s’aspirent, les yeux qui se fondent les uns dans les autres, oui les yeux, j’aimerais tant croire en ses yeux cette nuit là, et la nuit quand je me réveille mille fois à cause de la chaleur, la chaleur appelle son corps, le sien, oui, son corps jamais le même mais tellement précisément celui-là aujourd’hui, celui-là et pas un autre, ça n’a jamais été aussi fort

chaque fois, me persuader n’avoir jamais ressenti le même pincement, me convaincre que cette fois-ci est plus puissante que les fois d’avant, plus vraie, plus intense, et chaque fois que je sens se tordre mon coeur, la peur, la peur de ne plus jamais après arriver à cette intensité, cette force, ce désir, mais il faut se rassurer, se dire que la prochaine fois, encore, encore, on oubliera la peau qui grésille, les nerfs qui se tendent, le sommeil qui s’opprime, le souffle, le maudit souffle qui se coupe et se convaincre à arrêter de se ronger, se gruger, s’altérer soi-même de l’intérieur

dans le même geste : de la douceur d’être prise par l’autre et de l’agressivité de ne rien partager, peut-être pas encore, peut-être bientôt, ce serait mon tour, non? rassurez-moi que cette fois, ce serait mon tour à moi de vivre enfin, de ressentir enfin que je ne suis pas seule, que chaque fois que ma tête est hantée, je hante sa tête aussi, gratte, insiste, flatte, caresse, que moi aussi, je suis présente dans ses nuits, que moi aussi, j’en fais partie de la chaleur oppressante, que les cigales parlent peut-être de moi dans leur chant unanime

lundi 16 juin 2008

pour faire changement



Comme un besoin soudain d'écrire quelque chose pour repousser le premier message qui apparaît lorsqu'on arrive sur le blogue. La photo de ma grand-mère. Chaque fois comme l'impression que ce n'est pas correct, que ce n'est pas éthique. Se faire violence pour la laisser là.

C'étaient ses funérailles en fin de semaine. Un très beau moment. Beaucoup de famille pas vue depuis trop longtemps. Les funérailles m'inspirent toujours beaucoup, pour l'écriture j'entends. On verra ce que ça donnera.

Les gens sont rassurés depuis qu'on leur a dit que ma grand-mère était partie rejoindre son mari et ses enfants au Ciel, qu'elle n'était sûrement pas passée par le Purgatoire, pas plus que les autres membres de ma famille (on est ben bons chez nous). Les gens ont été encore plus rassurés quand on leur a dit que ma grand-mère allait être là à nous attendre, avec les autres, quand nous non plus on n'irait pas au Purgatoire, quand on prendrait l'allée directe pour le Paradis. Je me dis qu'au moins dans tout ça les gens sont rassurés. Mais pendant que j'entendais l'abée Charland, qui est un ami de la famille pour qui j'ai énormément de respect, nous raconter tout ça, en ajoutant qu'on attendait la Résurrection (pour être vraiment certains d'être rassurés) avec impatience, qu'on attendait que notre âme se matérialise à nouveau dans un corps de chair, mais que, ce coup-là, ce serait pour l'éternité, je me suis demandé si je voudrais que mes enfants entendent ça. Il y avait mes petits cousins qui étaient assis dans la première rangée. Je me suis demandé s'ils croyaient ce que disait le monsieur en avant. Je me suis demandé quelle impression ça laisse chez ces enfants-là, de se faire dire qu'un jour on va tous ressusciter pour toujours. Je sais que je fais partie des premières générations à ne pas m'être fait répéter ça à tour de bras. Mais n'empêche. Ça m'a donné le frisson. Il me semble que ça peut beaucoup les impressionner, les enfants, ce discours-là. C'est certain: c'est pas une raison pour leur boucher les oreilles.

Malgré tout ça, j'adore les messes, les célébrations, les homélies, les chants religieux. J'adore les églises. J'adore l'odeur, les sons, les vitraux. Ce que j'aime, c'est le patrimoine religieux. J'aime voir la foi. Voir tous ces gens qui croient ensemble à la même chose. C'est à la fois totalement effrayant - parce que ça dérape si vite - et en même temps c'est merveilleux, c'est fort. Et c'est la preuve qu'on a besoin de quelque chose à quoi se rattacher. On a besoin de croire pour vivre. C'est une question de fictions, tout ça. Elles sont inévitables, ces fictions-là. Ce sont elles qui nous permettent de continuer à vivre.

La seule chose... c'est qu'il ne faut jamais oublier que ce à quoi l'on croit, ce sont des fictions. C'est quand on se met à oublier ça que les choses dérapent. Il y a beaucoup de gens qui croient dur comme fer que les textes religieux sont des vérités...

La question que je me pose, au fond, c'est la suivante: est-ce que les enfants sont équipés pour comprendre que tout ça, c'est une histoire rassurante? Est-ce que leurs parents sont équipés pour leur expliquer ça? Pas certaine. C'est sûrement ça qui m'inquiète, au fond.

J'espère que les enfants ont posé des questions. Que les parents ont répondu.

Trois lectures sont à la base de ma réflexion. Je vous les conseille:
Histoires de s'entendre, Suzanne Jacob
L'espèce fabulatrice, Nancy Huston
Tout ce que j'aimais, Siri Hustvedt

mercredi 4 juin 2008

In memoriam


HAMEL, Béatrice (née Gilbert) 1908 - 2008 À la Résidence Riviera de Laval, le 29 mai 2008, Béatrice Gilbert Hamel a quitté tout doucement ses enfants Céline, Hélène, Louise (Richard Masson), son gendre Lionel Hébert (Madeleine), ses soeurs Jeanne d'Arc, Gabrielle et Laurence, sa belle-soeur Louise, son beau-frère Marcel ainsi que tous ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, parents et amis. Elle ira rejoindre son cher mari Edmond ainsi que Jean-Guy, Yvette et Hervé P.S.S. qui l'ont précédée. La famille recevra les condoléances en présence des cendres le samedi, 14 juin 2008 dès 10 h 30 en la chapelle du Centre funéraire Côte-des-Neiges 4525, ch. de la Côte-des-Neiges Montréal, 514-342-8000 Les funérailles suivront à 11 h 30. L'inhumation aura lieu le samedi, 28 juin 2008 au terrain familial du cimetière Notre-Dame-des-Neiges. Nos plus sincères remerciements à tout le personnel du deuxième étage du CHSLD Riviera. Au lieu de fleurs, des dons à la Société canadienne du cancer seraient appréciés. Direction funéraire Centre funéraire Côte-des-Neiges
Ma grand-mère est décédée jeudi dernier, le 29 mai, à l'âge de cent ans et neuf jours. Vers 17h. J'étais au bureau, j'allais écouter le soir des poètes lire au Marché de la poésie. En rentrant à la maison, il y avait un message de ma mère sur le répondeur: «Anne-Marie, c'est Louise. Rappelle-moi quand tu as une minute.» Je suis rentrée à 23h45. Trop tard pour la rappeler. Je savais pourquoi elle m'appelait au seul timbre de sa voix. Une nervosité que j'ai reconnue. J'ai écrit, dans mon cahier:
Sur le répondeur, ma mère: Bonjour, le message est pour Anne-Marie, c'est Louise. Rappelle-moi quand t'as une minute. Ok? Bye.
Et c'est trop tard pour la rappeler, plus que minuit. Chaque fois, je me demande si ma grand-mère est morte. Pour l'instant, je ne peux rien faire.
L'image vide: le message de ma mère qui ne dit rien sur mon répondeur.
Je sens de l'urgence dans sa voix, mais j'en sens chez elle presque toujours au téléphone, comme s'il fallait se dépécher avant que le message coupe.
***
Dans les nécrologies, on ne dit jamais de quoi les gens meurent. À croire que les gens meurent toujours comme ça, sans qu'on ne sache jamais pourquoi.
***
Ma grand-mère est peut-être morte à cent ans pendant que j'écoutais de la poésie ou pendant que j'attendais une amie pour aller en écouter..
***
Qu'est-ce que je vais faire, demain, si ma grand-mère est morte?
Qu'est-ce qu'on fait dans ce temps-là? On va travailler ou pas? On peut aller prendre une bière avec son père?
C'était bien ça.
Ma grand-mère est morte ce jour-là. Je l'ai su le lendemain à 8h du matin. Je suis partie travailler après avoir pleuré au téléphone avec ma mère au bout du fil.
Je ne sais pas pourquoi je suis en train d'écrire ça, et ici. J'ai une impression de transgresser un interdit, celui de ce que l'on peut montrer sur un blogue (on voit bien pire vous me direz). C'est peut-être à cause de la photo. Une impression de profanation.
C'est vraiment ma grand-mère sur cette photo. Un sourire rieur, elle qui mettait toujours sa main devant sa bouche pour rire, ça lui donnait un air coquin. Des yeux et un port de tête fiers. Cette femme a passé au travers d'un siècle entier, a perdu sept des dix enfants dont elle a accouché et qu'elle a porté en elle. Et son mari, mort il y a cinquante-deux ans maintenant. À cent ans, la notion de temps n'existe plus.
Pour moi, c'était la femme qui avait toujours été là. Toujours vivante, j'entends. Je suis née alors qu'elle avait soixante-dix-sept ans, tout de même. Ma grand-mère était un monument à la vie, celle éternelle, celle qu'on peut croire comme telle. Que ma grand-mère meurt, même si on s'y attendait, brise en moi quelque chose qui croyait encore très naïvement à une forme d'immortalité.
Ma grand-mère, telle que je l'ai connue, était une femme bien. Quelqu'un d'admirable, de fort, de fier. Ma grand-mère, un modèle de solidité pour moi. Je l'ai beaucoup aimée.
Longtemps avant sa mort, j'ai cessé de la voir. Parce que je ne voulais pas garder d'elle un souvenir d'une femme qui avait dépéri. Parce que c'était important pour moi qu'elle reste une femme forte, solide comme le roc. Une façon de nier, certes, mais surtout une façon de préserver le souvenir. Je n'ai pas voulu avoir d'image d'elle après elle, celle qu'elle a toujours été pour moi. Et puis aussi j'avais peut-être un peu peur qu'elle ne me reconnaisse pas. Ily a peut-être là-dedans quelque chose de très égoïste. Mais je ressens un malaise à aller visiter des gens qui savent que j'y vais parce qu'ils vont mourir, et qu'on soit tous là à faire semblant que, non non, ça n'arrivera pas.
Je me dis qu'il y a des centaines de choses qu'elle ne me racontera jamais.
Petite, j'allais chez ma grand-mère sur la rue Britanny à Ville Mont-Royal. En face de chez elle, il y avait un grand parc avec deux immenses modules pour les enfants. Mon frère et moi pouvions y aller, on allait jouer pendant que ma mère et grand-maman parlaient, parfois aussi avec d'autres adultes, mes tantes ou mes oncles. Puis on entendait un grand cri et on regardait vers le septième étage (je ne sais plus l'étge exact). C'était l'heure de souper ou de rentrer.
Dans l'appartement de ma grand-mère, il y avait toujours des bonbons un peu partout. Des chocolats kiss qui ne goûtaient pas trop le chocolat. Parfois, aussi, de la tête formagée maison dans le frigidaire. Ou des galettes à m'lasse sur le comptoir. Ma grand-mère nous faisait, aux enfants, des floatters: crème glacée à la vanille et cream soda. Un délice que j'ai regoûté hier en souvenir d'elle. Quelle idée!
Il y avait une odeur de chez ma grand-mère. Il y avait des couleurs de chez ma grand-mère. Il y avait ma grand-mère qui riait, qui marchait un peu avec les pieds vers l'intérieur, qui portait des chaussures beiges et des collants opaques.
Une fois, en journée pédagogique, j'étais allée chez elle et on avait marché jusqu'au Centre Rockland, au bout de la rue. Il avait fallu faire un arrêt au Tim Hortons pour dîner, puis prendre un taxi pour revenir. Ce n'était pas raisonnable pour elle de marcher jusque là, mais elle avait prévu le coup, elle n'avait rien dit à personne et savait que je n'allais pas refuser. Pourtant, c'était tout près mais je devais avoir treize ans, ma grand-mère quatre-vingt-dix. De retour chez elle, elle avait mis un pyjama, avec des pantalons. C'est la seule fois que j'ai vu ma grand-mère avec des pantalons, sauf peut-être à la résidence, oui sûrement, mais elle était assise dans une chaise roulante alors ce n'est pas pareil. C'était la première fois qu'elle n'était pas en jupe. En partant de là le soir, ma mère m'avait dit: «Il fallait qu'elle soit vraiment fatiguée pour mettre un pyjama.»
Grand-maman avait une canne, quand j'étais toute petite, qui se pliait. Il suffisait de défaire les morceaux et de plier la canne. Mon frère et moi étions fascinés par ce qu'elle appelait son «bâton de vieillesse.»
Chaque fois qu'elle venait à la campagne, grand-maman disait, après le dîner: «Après tout ça, on ne soupera pas!» Puis, au souper, elle nous demandait de lui servir «Juste une petite portion». On la servait comme tout le monde, elle mangeait tout et disait: «Après tout ça, on ne déjeunera pas!»
Je pourrais faire longtemps comme ça l'inventaire des souvenirs que je garde de ma grand-mère. J'aimerais que ça lui tienne lieu d'hommage. Ce sont ces souvenirs-là que je veux garder avec moi, au plus profond de moi. Une douceur, une tendresse, grand-maman Béatrice qui m'apprend à tricoter dans la véranda à Dunham.
Je n'ai jamais terminé mon foulard mauve.
Je t'aime grand-maman.

vendredi 16 mai 2008

5. ouvrir le garde-robe

ouvrir le garde-robe pour
je ne sais pas encore
arriver à écrire peut-être
une réponse facile
nécessairement bête
mais encore le besoin de chercher plus loin
ailleurs comme en moi dans les fictions des autres

d’abord la porte fermée moi à distance
j’observe : un félin sa proie
dans l’ombre de la porte de la chambre de la maison de mon père
presque cachée derrière le temps
juste un œil qui sort dans la lumière
et je parle parle parle et je lis et m’ensevelis dans des mots camouflages
comprendre par les autres l’évidence sous mon nez
il faut me le dire, que je le refuse en premier
que ça devienne une idée venue de moi vous je vous oublie vite
ne me dites rien pour qu’il n’y ait pas de dettes

peu à peu peut-être sortirai-je de derrière la porte
m’avancerai au futur dans la pièce clair-obscur
tournerai de long en large autour de la porte close
poserai mes doigts sur le mur déjà sali
à hauteur d’un homme grand
ma main plus basse rasant le mur
les yeux clos je verrai tout sans ne rien savoir
et la ceinture et le bleu du cou et la langue qui pend et peut-être les lunettes sur le visage
et la chaise tombée et les mains pleines de peinture encore
sous l’ongle de l’index un éclat de mon mur
sur le mur une marque gravée d’ongle d’index
tout autour mes objets éparpillés sur le sol entassés sur les tablettes
les vêtements sur les cintres ou étalés le sol le lit
un chaos d’avant ma connaissance bien rangé pour me l’apprendre
je verrai tout ça avant d’ouvrir la porte très tard quinze ans plus tard

quand j’ouvrirai la porte il n’y aura rien; je le sais
ce n’est même plus le même garde-robe et pourtant oui
comme pour tous les métros du monde où du sang a giclé des corps tombés
le service est interrompu mais on sait : quand tout sera nettoyé il reprendra
pour nous leurrer qu’on ne voit rien
et même au téléjournal on n’en dira mot pour ne pas donner l’idée aux autres malades
laissant les survivants malades à leur tour de ne même pas
même pas une petite fois
montrer à tous la porte ouverte ou les rails maculés

braquer la caméra juste une petite fois
voir apparaître dans un fish-eye : ne pas y croire

dimanche 13 avril 2008

IX - L'autoportrait est-il voué à l'échec?

sur « Introduction. Autoportrait et autobiographie », Michel Beaujour[1]

De la même façon qu’on ne peut affirmer qu’une photographie d’un individu prise par lui-même ne peut être considéré comme une image totalement fidèle de cette personne, il me semble que la volonté de se peindre, par le langage, dans un texte littéraire ne peux être complètement satisfaite. Il me semble impossible que l’on parvienne, même au terme d’un travail acharné d’exhaustivité, à se dire complètement, à se montrer tridimensionnel et mouvant, à exposer de soi une image verbale de la personne que l’on est entièrement.

Le premier obstacle que l’on rencontre dans cette volonté de se peindre est précisément celui d’un médium par lequel on doit inévitablement passer. Que ce soit en peinture, en photographie, ou en écriture, le fait de se dire passe inévitablement par une durée, par une prolongation de l’acte de parole dans le temps, par la superposition des coups de pinceau, par la mise au foyer de l’objectif. Se dire complètement dans un seul geste, dans un seul mot, devient impossible, puisque chaque élément doit être exposé, montré. Il en va de même de la photographie, qui ne peut présenter de nous une image complète, embrassant chacune de nos dimensions.

Si l’écriture, la photographie, la peinture, ne peuvent nous permettre de nous dire complètement, je ne crois toutefois pas que ce soit une entreprise vaine. Parce qu’il me semble que c’est en tentant de trouver le mot juste, celui qui nous permettra de se dire le plus précisément, malgré les limites induites par le seul fait de l’énonciation, que l’on parviendra, peu à peu, à trouver une façon de se définir, même partiellement.

Ces morceaux de nous-mêmes qu’on parviendra à définir, s’ils n’arriveront pas à nous dire en entier, s’accumuleront, au cours de notre vie, de façon à créer une fresque, une forme de suite d’éléments qui, les uns les autres, se répondront, se feront écho, se parleront et arriveront peut-être à parler de nous. Si nous n’arrivons pas nous-mêmes à nous dire, peut-être que ces petites traces que nous laisserons arriveront à le faire, même partiellement.

Il restera néanmoins un vide, à la fin de notre autoportrait, sorte de tache aveugle de notre vie. Parce que si l’autoportrait, comme le mentionne Beaujour en évoquant Barthes, nous permet un apprentissage partiel de la mort, jamais, cette mort, nous ne pourrons la dire après.

[1] Michel Beaujour, « Introduction. Autoportrait et autobiographie », dans Miroirs d’encre : rhétorique de l’autoportrait, Paris, Seuil, 1980, p. 7-26.

dimanche 6 avril 2008

VIII - Balade de nuit/balade de jour

sur Devant la parole, Valère Novarina[1]

Il y a quelque chose de vertigineux, me semble-t-il, à penser que ce matériau à partir duquel je travaille, je n’arriverai pas à le maîtriser, encore plus, qu’il n’est pas souhaitable que j’arrive à le maîtriser complètement. Le langage restera toujours pour moi quelque chose d’étrangement inquiétant, ou de semi-familier. Une zone explorée, la « forêt enchantée » de mon enfance à Dunham, avec son chemin tapé qui monte la colline et mène au lac, que je connaissais si bien mais qui me faisait si peur, surtout le soir quand la nuit tombait et que les contours des racines ressemblaient tout à coup à des loups ou des sangliers ou des chevreuils avides de petites filles ou – pire! – à un ignoble chasseur tueur de pauvres bêtes et destructeur de forêts.

L’enjeu de ma démarche serait-il donc de tenter la balade dans le langage, de façon à arriver à en saisir les chemins principaux, les plus gros cailloux qui entravent la marche, de façon, justement, à taper le chemin jusqu’au lac, pour moi comme pour d’autres, mes enfants disons, qui voudront aller pêcher des crapets-soleils et des têtards? Mon travail serait-il de me balader dans la forêt en plein jour, question de savoir de quoi il en retourne, de localiser la cabane cachée du chasseur, pour y revenir ensuite de nuit et me laisser impressionner par les ombres mouvantes, par la noirceur soudaine quand un nuage passe devant la lune, revenir la nuit pour avoir l’impression qu’on souffle dans mon cou, qu’une branche craque à ma gauche, qu’une feuille est froissée à ma droite, dois-je y revenir pour perdre mes repères, ne plus savoir où exactement j’en suis dans ma balade – est-ce que je montais vers le lac ou si je redescendais? est-ce que j’arrive bientôt? elle est où, encore, la grosse roche où ce matin j’ai renoué mon lacet? – ni depuis combien de temps je suis partie?

Peut-être que c’est ça, aussi, je dois avoir parfois très peur, faire des expéditions risquées et qui me donnent une frousse incroyable – comme quand j’écris « on est tous aussi bien de se tirer tout de suite une balle dans la gueule avec nos bébés dans le ventre » – avoir très peur des autres et de moi, perdre mes repères au sein d’un langage qui souvent me sécurise parce qu’il met de l’ordre dans les réflexions, avoir très peur dans le noir, donc, et revenir le lendemain en plein soleil. Et à ce moment-là, peut-être bien que je verrai ce qui m’a fait peur, que la forme humaine que j’avais aperçue, ce n’était pas une femme pendue dans un arbre, mais un tronc cassé par un ancien orage.

[1] Valère Novarina, Devant la parole, Paris, P.O.L., 1999, p.56-64, 71-72, 78.

VII - Qui m'apprendra?


« Chapitre trois », dans En vivant en écrivant, Annie Dillard[1]

Voilà qui n’est pas bien loin de ces gens qui m’ont martelé les oreilles avec leurs choix de ne pas écrire. D’un côté, ces gens assurés de leurs capacités – refoulées – à être des écrivains ou, du moins, à écrire des livres; de l’autre, ces gens désireux d’apprendre une méthode qui leur permettra d’écrire, enfin. Dans les deux cas, il me semble qu’il y a erreur, mécompréhension de ce qu’est le travail d’écriture. Comme j’ai cette prétention à vouloir tenter l’expérience, comme je viens plus souvent qu’autrement m’abîmer contre les parois rigides des murs qui s’élèvent en obstacles à ma démarche, comme pour moi écrire, ça fait mal et c’est long, comme pour moi écrire relève du travail intellectuel ininterrompu – à l’épicerie, la nuit, en marchant, dans l’intimité, quand j’éternue, dans la douche (surtout) –, de l’élaboration d’un processus et d’une pensée, cette volonté à chercher une méthode d’écriture a tendance à me révolter. Règle générale, à part dire qu’il n’y en a pas, de maudite méthode – que dis-je!, de méthode maudite –, je me tais et je retourne travailler, un peu exaspérée.

Annie Dillard est bien plus ouverte que moi. Parce qu’à ceux qui lui poseront la question quant à savoir « Qui m’apprendra à écrire? »[2], elle a trouvé une réponse… respectueuse et intelligente. Surtout, intelligente, et qui rend hommage à ceux qui, comme elle, tentent l’expérience de l’écriture, et ce, malgré les douleurs qu’elle occasionne. Ce qu’elle répond : c’est la page qui t’apprendra à écrire. Ce sont les mots que tu y inscriras, que tu tenteras d’y inscrire, les mots qui ne sonneront pas comme tu le désirais, les mots qui te décevront, ceux qui te feront rêver alors que tu t’y attendais le moins – avais-tu déjà pensé que le mot sacoche puisse faire rêver? –, ce sont ces mots mis en relation les uns avec les autres qui t’apprendront à écrire, peu à peu. Il n’y aura pas de « satisfaction garantie ou argent remis ». Il t’appartient à toi de laisser ces mots s’inscrire dans cette page, dans cet espace de l’écriture. Il t’appartient d’y revenir, ou de chiffonner la page, de la jeter et de la regretter, de la garder et de n’y rien comprendre. Mais tant que tu n’iras pas t’asseoir, tant que tu ne travailleras pas encore et encore, tant que tu n’iras pas t’écraser contre le mur de l’écriture, tant qu’on ne te dira pas que les mots utilisés n’étaient pas les bons ou que ceux dont tu doutais étaient évocateurs, tu n’apprendras pas à écrire.

Tu sais, c’est toi qui t’apprendras à écrire.

[1] Annie Dillard, « Chapitre trois », dans En vivant en écrivant, Paris, Christian Bourgeois Éditeur, 1996, p. 57-79.
[2] Ibid., p. 78.

VI - Travail acharné

Sur « Musil » dans Le livre à venir,
Maurice Blanchot[1]

Dans un court essai précédent, le Petit manifeste pour une reconnaissance de l’écrivain, écrit suite à ma lecture des extraits de textes de Borges, j’ai réclamé la reconnaissance du travail de l’écrivain. Ce que j’ai voulu mettre en lumière dans ce court texte est le fait qu’il ne soit pas donné à tous d’écrire, et qu’il s’agit d’un travail, acharné, d’un domaine d’études, mais aussi d’un regard posé sur le monde avec une sensibilité particulière, qui n’est pas la même que celle, par exemple, de l’architecte ou du mathématicien. Il me semble que le texte de Blanchot sur Musil publié dans Le livre à venir présente l’auteur dont il est question précisément comme un homme ayant travaillé dur, tout au long de sa vie, pour produire une œuvre, L’homme sans qualités. Intéressant, ce rapport à la notoriété publique que soulève Blanchot, alors qu’il traite d’un homme dont la gloire a été faite après sa mort, grâce aux forces combinées de son épouse Marthe et d’un « ami dévoué »[2]. Mais ce qui attire principalement mon attention est ce passage où Blanchot cite une note de Musil : « Tirer une technique de mon impuissance à décrire la durée »[3].

Cette phrase de Musil me semble bien exprimer ce que peut être le travail de l’écrivain. En effet, il me semble primordial que celui-ci veille à rester vigilant face à son propre travail créateur, cherchant sans cesse ses failles, ses lacunes. Mais il ne suffit pas de savoir quelles sont nos propres difficultés, mais bien de parvenir à en tirer profit, à faire en sorte que de ces faiblesses dans notre écriture puisse ressortir une force. Il n’est certes pas chose simple que de parvenir à, d’abord, accepter que nous ayons des faiblesses (mais, franchement, c’est inévitable!), puis, à cerner de quelles lacunes il s’agit. Je ne sais pas précisément comment tirer profit de ces difficultés (les façons d’en tirer profit ne seraient-elles pas toutes aussi diverses que les types de lacunes?). Peut-être de la même façon qu’on peut parvenir à tirer profit de l’autocensure, comme nous l’avons vu plus tôt dans la session, en tentant de trouver des avenues détournées pour parvenir à nos fins.

Je crois qu’une grande partie du travail de l’écrivain se trouve là, bien plus que dans une recherche de nos forces, dans une compréhension de ce qui nous rend la tâche difficile.

[1] Maurice Blanchot, « Musil » dans Le livre à venir, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1967, p. 184-206.
[2] Ibid., p. 186.
[3] Ibid., p. 202.

mardi 1 avril 2008

4. tu t'englues

tu t'englues dans un vertige innommable, insatiable, qui étouffe toutes tes pensées les plus secrètes, tu cherches des réponses à des questions qui n'existent pas parce que trop vastes, tu notes des mots sans penser à leur poids, tu tentes d'exister malgré, malgré l'absurdité, et d'écrire malgré le bruit autour et même si le soir il y a le silence qui résonne dans le silence dans tes oreilles dans ta chambre dans ton garde-robe, même si le soir tu as peur des portes ouvertes et des spectres, malgré les échos qui se répètent les uns les autres en canons infinis, encore, encore, 'core mille fois et malgré que tu te dises seconde après seconde que tout ça est peut-être vain et futile et ça recommence ce vertige, ce saut dans le vide, le sursaut à la lisière du sommeil, tu ne t'en sortiras pas plus que les autres, c'est inévitable et les paroles qu'elle a prononcées te reviennent sans cesse en tête comme un leitmotiv, elle a dit sans penser que tu l'entendais: «J'espère le plus tard possible» et tu as pensé: «Elle aussi elle veut vivre comme moi avec mille férocités, elle aussi elle voudrait l'occulter cette fin de la mort et jouir jusqu'à l'éternité» et tu as ressenti alors le vertige double, celui de sa perte un jour comme celui de tes parents et le tien, ton vertige à toi, celui de la certitude de ta perte à toi face à toi-même, tu sais qu'un jour tu ne regarderas plus rien, même pas les silos à grains rouillés par la fenêtre dans un coin de ciel et c'est terrible, terrible ce que ça te fait et tu te dis: «Il ne me reste qu'à écrire comme elle, pour peut-être laisser une trace, est-ce possible», et ça tombe bien parce qu'il n'y a que les mots placés en murs qui arrivent à clamer ton tourbillon, à boucher ton trou de vertige

lundi 24 mars 2008

V - Petit manifeste pour une reconnaissance de l'écrivain

Sur Enquêtes, suivi de Entretiens, Jorge Luis Borges[1]

Je sais que je suis une femme qui profite des mots de Borges pour créer une brèche et déverser une furie ancienne, rencontrée la première fois quand un homme m’a répondu: «Je ne te parle pas d’un hobbie» alors que j’avais dit que j’étudierais la littérature.
Je sais que je déforme ses paroles. Entre lui et moi, jamais il n’y a eu de dialogue.

Je pars de mots de Borges pour digresser, pour vous dire que l’écriture est
un travail
le fruit d’une recherche
la trace d’un changement identitaire
je voudrais réclamer la reconnaissance du travail de l’écrivain
et je voudrais que l’écriture reste toujours un travail de la subjectivité
mais, plus que tout, je voudrais vous dire une chose ignoble aux yeux de certains
il n’est pas donné à tous de pouvoir écrire.
Je voudrais vous dire mes prétentions : celle de tenter l’aventure, celle d’étudier, celle d’y réfléchir. Celle d’essayer d’écrire des textes que je voudrai lus.
L’aptitude à l’écriture peut se travailler en partie, certes, mais la volonté d’investissement, elle, et la sensibilité du regard posé sur le monde, lui, ne sont pas propriétés de tous.
Je ne suis pas médecin. Je ne suis pas architecte. Je ne saurais être ingénieure ou mathématicienne. Ce sont des métiers qui s’apprennent, mais ce sont des métiers qui demandent des prédispositions, scientifiques, mathématiques, artistiques.
Il en va de même de l’écriture.
Il y a Éric; il y a l’ami de l’autre; il y a la fille au bar : ils me disent qu’ils auraient pu choisir la littérature. «À sept ans j’ai écrit un petit roman, je l’ai gardé, vraiment, pour un enfant, c’était bien/C’était trop précaire, l’écriture, je suis devenu neurologue/Tu écris? Moi aussi j’ai un journal intime…» et combien d’autres?
Oui, Borges, il y a le dialogue avec le lecteur. Il y a, dans l’impossibilité de l’écriture à n’être qu’un simple «jeu combinatoire»[2], la «façon dont elle est lue»[3].
Mais je réclame qu’il y ait aussi le travail de l’écriture. L’investissement de l’écrivain.
Je ne suis pas un singe devant une machine, près d’autres singes qui tapent aléatoirement.
Je ne suis pas ignorante de la valeur des mots que j’utilise. Et si j’utilise parfois les mots à mauvais escient, je tente néanmoins d’apprendre à les juxtaposer, je tente de maîtriser ma langue de sable, ma langue râpeuse, en la laissant s’enfuir, glisser, m’échapper.
Je voudrais réclamer, comme mille autres l’ont fait avant moi, la reconnaissance du travail de l’écrivain. Des voix souvent se sont perdues. Quel dialogue y a-t-il eu?
Je voudrais vous inviter à lire un texte et à le questionner.
Je voudrais vous inviter à ne pas réussir à écrire sur un texte, à y trouver une porte d’entrée.
Je voudrais vous inviter à quand même remettre un travail de session.
Je voudrais vous inviter à ouvrir un dialogue avec les textes que vous lisez.
Ici, il y a des étudiants qui voudraient (vous) écrire.
Ici, il y a des écrivains qui voudraient (vous) parler.
Ici, il y a des gens qui ne sont ni médecins, ni ingénieurs, ni architectes.
Vous avec choisi des emplois lucratifs; acceptez-vous l’appel à frais virés?


[1] Jorge Luis Borges, «Magies partielles du “Quichotte”», «Notes sur (à la recherche de) Bernard Shaw», «Dernier entretien», dans Enquêtes, suivi de Entretiens, Paris, Gallimard, coll. «Folio Essais», 1967, p. 73-77, p. 207-211, p. 338-345.
[2] Ibid., p. 207.
[3] Ibid., p. 208.

IV - Des fragments entre les brèches

Sur Marelle, Julio Cortázar[1]

« En lisant son livre, on avait par moments l’impression que Morelli avait espéré que l’accumulation des fragments se cristalliserait brusquement en une réalité totale. »[2] Cette phrase, tirée du texte Marelle, est énoncée relativement à la conception que Morelli, écrivain que Cortázar met en scène, aurait de la réalité. Celle-ci ne pourrait se concevoir que fragmentairement. Cet écrivain décrirait ses personnages « sous la forme la plus spasmodique qui soit »[3], ce qui permettrait au lecteur de « participer presque au destin de ses personnages »[4]. Cette idée de la participation du lecteur dans le récit m’apparaît très intéressante, voire primordiale.
En effet, je crois foncièrement que le lecteur d’un texte doit pouvoir y trouver sa place, cet endroit où il peut venir s’inscrire dans le récit. C’est ce qui, à mon sens, permet à une œuvre d’être polysémique et de traverser les époques, puisque chaque lecteur, lorsqu’il peut y trouver une place, peut en faire analyse personnelle, une étude qui se voit modifiée par le contexte social. Cette inscription de la subjectivité du lecteur dans le texte permet à l’œuvre de se réactualiser.
Cette participation du lecteur au texte, je tente de réussir à la permettre dans mon travail créateur. En consignant mes souvenirs d’un événement survenu durant l’enfance et ses répercussions sur ma vie passée et actuelle, ainsi que les modifications, parfois imperceptibles, de ces souvenirs – modifications qui surviennent en fonction de mon évolution en tant que sujet écrivant – je ne peux faire autrement que de laisser place à ce qui m’échappe de cet événement.
Je ne trouverai jamais de preuves à tous les éléments que j’avancerai dans mon récit. C’est, il me semble, à ce niveau que pourra venir s’inscrire le lecteur, dans le choix qu’il fera entre les diverses versions de mes souvenirs, ainsi que dans le travail de colmatage qu’il lui faudra faire entre les fragments, travail qui visera à lier les « instantanés » de souvenirs. Comme je souhaite que ces interprétations puissent être aussi diverses que le seront les lecteurs du texte, il me semble vain d’espérer que les fragments se cristallisent en une « réalité totale ». Celle-ci, comme le restera mon souvenir de l’événement, sera, je l’espère, à jamais fragmentée, à jamais constituée de brèches entre les morceaux. Ou de morceaux entre les brèches…
[1] Julio Cortázar, Marelle, Paris, Gallimard, 1966, p. 411-412, p. 458-468, p. 188-189, p. 559.
[2] Ibid., p. 109
[3] Ibid., p. 488.
[4] Idem.

vendredi 29 février 2008

III - Vérité ou vraisemblance?


Sade, Les crimes de l’amour[1]

Je ressens inévitablement un malaise à la lecture d’un texte qui propose des clés de réussite pour l’écriture. Je me bats ardemment contre l’idée qu’il puisse exister une technique ou des méthodes permettant d’accéder à – ou de tendre vers – une forme de « perfection »[2] du texte. J’ai toujours peur que ces astuces modèlent un genre, créent des canevas à respecter ou à suivre et qui risquent d’empêcher une sorte de folie de l’écriture, voire une frénésie de l’invention. Sade invite certes à écouter les élans qui viennent au moment de l’écriture, mais je crains que d’autres de ses recommandations empêchent ce moment insaisissable et irraisonnable de la création.

La « règle de l’art d’écrire un roman »[3] qui m’effraie et m’inquiète le plus au travers de celles qu’il énonce est celle concernant la vraisemblance nécessaire des écrits : « …on ne te demande point d’être vrai, mais seulement d’être vraisemblable. »[4] J’envisage à l’inverse ma pratique d’écriture, pourtant basée sur l’autobiographie et le témoignage, comme une recherche de vérité, et non pas de vraisemblance.

Ce que je cherche à dire, par mes textes, c’est ce qui est vrai pour moi, je cherche à énoncer ce qui m’est arrivé tel que moi, je l’ai vécu, perçu; je poursuis une quête qui vise à trouver ma vérité, qui ne sera jamais la même que celle des membres de mon entourage. Je ne cherche pas une vraisemblance calculée, qui rendrait impossible, à mon avis, le travail de mémoire – personne ne peut se souvenir de la même façon des mêmes événements.

Une autre partie de mon travail s’intéresse à la retranscription des paroles des autres, de leurs témoignages. Ici, je m’intéresse au partage avec l’autre d’une expérience personnelle et je n’y recherche pas non plus de vraisemblance. Pour dire vrai, je ne m’intéresse pas à savoir si ce qu’ils me racontent est vraisemblable, ou si ces événements leur sont réellement arrivés. Ce que je cherche à trouver dans leurs témoignages, c’est une parcelle de leur vérité, un moment où il y a dans ce qu’ils racontent quelque chose qui leur est vrai.

Je pense que c’est là, beaucoup plus que dans la vraisemblance, qu’on peut retrouver la sensibilité de l’écrivain, de son regard sur le monde. Et c’est peut-être aussi lorsqu’on a accès, lors de nos lectures, à cette vérité de l’écrivain qu’on a à notre tour envie d’écrire.

[1] Donation Alphonse François de Sade, Les crimes de l’amour, Paris, Gallimard, 1987, p. 42-48.
[2] Ibid., p. 43.
[3] Ibid., p. 42.
[4] Ibid., p. 45.

dimanche 24 février 2008

a. Demain, peut-être

Est-ce sain d’être chamboulé par ses propres mots? Est-ce un gage, vraiment, d’une réussite? Je m’accapare mon passé et mon incompréhension par le langage en les faisant passer par moi, par mon corps, et j’ai l’impression alors d’avoir une prise sur le réel. Je le mets en forme. Je lui trouve une structure et, par mes lectures, je m’inscris peu à peu dans une filiation. Angot, Barthes, Desautels, Dupré, Duras, Fortin, Guibert. Mon nom comme appartenant à une lignée de douleurs. Une recherche de sens à ce qui n’en a pas, la mort précisément. Il n’y a rien de rationnel dans le geste, à la base, mais peut-être quelque chose de radical. C’est écrire pour colmater les brèches, sans savoir tout le temps quels sont ces vides. Ça évite peut-être parfois d’être catatonique tout le temps. Comme la photographie, cette entreprise permet un regard neuf sur le monde. Un nouvel angle de vue. Une autre possibilité. Quelque chose de la renaissance.

Barthes cherchait dans la photographie du Jardin d’Hiver l’essence de sa mère. Moi, je n’ai pas de photo de la femme morte. Elle n’était pas ma mère, c’est important de le dire. Je pourrais aussi avoir des photos d’elle, je sais que mon père en possède. Mais je n’en veux pas. Ce serait me plonger dans une époque que je tente de fuir. Je désire constituer ma propre image. Lui trouver un visage de suffoquée qui sera le mien juste à moi. Un visage sur lequel personne n’aura droit de regard, sinon au travers de mes mots, de ce que j’en dirai. Vous ne pourrez voir que ce que moi j’accepterai de vous montrer, avec ma pudeur à moi, mon malaise.

Cette entreprise ne sera pas facile.

J’irai chercher de l’aide, même si ça ne m’est pas naturel. Il y aura ma famille, avec la mémoire de chacun. Il y aura mes amis, des universitaires, avec leur savoir et leur support. Des inclassables et des collègues. Et des auteurs, évidemment. Puis tous ceux que je ne connais pas encore.

Il y aura des obstacles. La famille, la peur, la révolte, le temps, le travail, qui pour certains seront autant d’alliés.

Il y aura la mémoire qui ne cessera jamais de changer, de faire défaut tout en étant précise. Les souvenirs, jamais tout à fait les mêmes, contre lesquels je me battrai et tenterai de faire miens. Il y aura des photos, des romans, des paroles.

Peut-être qu’un jour j’accepterai qu’il y ait dans tout ça une histoire d’amour. L’Autre, que j’espère devant ma porte, tous les soirs.

Il y aura des juges, des critiques, des gens qui aimeront, peut-être. Et il y aura des gens qui seront déçus.

Moi aussi, dans toute cette histoire.
Puis la pendue, innommable.
Je ne me rappelle pas d’elle. C’est, dans toute cette entreprise, ce qu’il y a de plus terrible.
Écrire sur quelqu’un dont on n’a pas de souvenir. Quelqu’un qui n’a convié personne à sa mort, parce qu’au milieu de nous elle se sentait trop seule. C’est ce que j’imagine.

Il y aura tous ces mots pour tenter de la dire, de l’inventer. Pour tenter de me dire au travers de sa mort. Cesser de rejouer sa disparition futilement et tenter de passer à autre chose. Comme lever la tête et faire face à la vie, avec sa date butoire.

J’ai peur de mourir.
À quoi sert de vivre si c’est pour passer le temps et subir la vie? Je n’invente rien. Je voudrais seulement laisser une trace. Une écriture illisible dans un cahier.

C’est ça, ma tentative. Archiver la vie pour laisser une trace. D’autres l’ont fait avant moi. Se sont cachés en se révélant. Au travers des mots, d'autres se sont travestis. Les mots étourdissent, c’est très rassurant.

Tout ça, c’est une entreprise qui m’appartient, mais je ne sais pas par où commencer.

Demain, peut-être.

3. le souffle

demain arrivera
promis
ce sera le souffle
qu’on arrache
vers l’absence de la pendue
dans le garde-robe
que je n’ai jamais vue
que j’aperçois tous les jours
avec ses lunettes
et ses yeux exorbités
la ceinture de cuir autour du cou
dans ma chambre à moi
pleine de sa mort à elle

dimanche 17 février 2008

II - Répétition active

Michael Edwards, « Création et répétition »[1]

Tel que l’énonce Michael Edwards dans son article « Création et répétition », la répétition me paraît inévitable dans l’acte créateur, puisqu’on ne peut créer à partir d’un matériau qui nous est totalement inconnu. Il ne suffit toutefois pas de simplement répéter les paroles du passé, mais de les réactualiser au présent pour les entendre différemment, comme prononcées avec une nouvelle voix.

Il est cependant facile de répéter le souvenir sans le réactualiser, et ce, sans même s’en rendre compte. Je crois qu’il importe de toujours rester conscient – et encore davantage lorsque notre travail créateur puise sa matière même dans un questionnement sur la réminiscence – de ce danger qui nous guette, de cette possibilité d’une répétition sans innovation, d’une répétition qui ne questionnerait pas le matériau qui revient à la mémoire.

Lorsque j’aborde ici l’idée d’une innovation, je ne veux pas parler d’un travail créateur qui viserait sans cesse à faire quelque chose de nouveau, d’inédit, dans une optique qui retiendrait presque du spectaculaire. Il s’agit plutôt d’une innovation dans le regard que l’on porte sur le souvenir – ou sur le langage – que l’on réutilise dans l’optique de créer quelque chose qui, d’abord pour le créateur, n’est pas une simple redite. C’est ce nouveau regard posé sur l’objet de notre attention qui permet d’envisager un nouveau rapport à ce qui est déjà connu sous un certain angle.

Il ne faut pas non plus oublier que le regard que l’on pose sur cet objet, sans même qu’on s’en rende compte, change constamment, l’angle d’approche se modifie par le simple fait que l’on n’est plus, en tant que sujet, tout à fait le même. C’est, au bout du compte, dans l’ensemble des changements qui s’opèrent dans le rapport entre le sujet et l’objet que s’accomplit l’évolution du sujet. Et c’est par cette voie que peut s’inscrire le changement de perception du sujet face à l’objet qui l’intéresse. Ainsi, si on reste vigilant, il serait possible que, de fil en aiguille, notre relation au souvenir change, et que la réactualisation de ce souvenir modifie notre relation au monde et à notre identité propre, ce qui nous permet de regarder à nouveau l’objet sous un nouvel angle. Et le mécanisme est mis en branle.

[1] Michel Edwards, « Création et répétition », dans L’acte créateur, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 143-158

dimanche 10 février 2008

2. du fond de mon désert

il ne neige plus
as-tu remarqué, toi
du fond de mon désert
qu’il ne neige plus
entends-tu la rumeur lointaine
qui scande ton nom en prière
comme si tu étais un dieu
alors que je pense mourir encore une fois
d’une maladie inconnue et incurable
as-tu entendu les avions
fendant le ciel sous la lune
fais-tu le soir les cent pas
en pensant à mon nom
le répétant en boucle
pour te convaincre de mon existence
fumes-tu des cigarettes de condamné à mort
comme pour la dernière fois
choisis-tu tes vêtements de funérailles
ajoutant par coquetterie
un accessoire turquoise
et lorsque tu bois une bière
songes-tu aux bars que nous avons fermés
suis-je là à tes côtés
un peu dans l’ombre de l’absence

quand tu regardes cette enfant
est-ce la mienne aussi
et quand tu écris
quand tu écris
suis-je ton « tu »
suis-je là quelque part
du fond de mon désert
à murmurer des paroles
qui ressemblent à des cris
des appels au secours dans la nuit froide
suis-je en toi parfois quand tu fais l’amour
penses-tu à moi tout le temps
quand la nuit reste noire malgré les lampadaires
écris-tu des mots frivoles
qui parlent de nous
poses-tu des questions qui chaque fois
n’appellent que le silence

je n’ai rien su de toi
au fil des années qui s’écoulent
si déjà tu as aimé vraiment
si tu as perdu ton temps
quand je n’avais rien à te répondre
quand mon silence te figeait
au travers des siècles glacés
trouves-tu un peu de chaleur la nuit
dans d’autres bras ailleurs
as-tu fait l’amour depuis
moi je m’abstiens sans volonté
puisque personne ne te ressemble
depuis ton départ

tu sais
tu me parlais de ma prose
et maintenant je fais des vers
c’est plus court
plus essoufflé
ça noircit les pages plus vite
pour opprimer le silence
ça me convainc avant même la relecture
et je suis efficace
quand il n’y a rien à faire
à dire
j’occupe vite les vides
dont tu me parlais
ceux entre toi et moi
quand le sexe ne comblait plus
ne voulait plus rien dire entre les silences

tu sais
la troisième fois que nous avons fait l’amour
la première nuit
j’ai pensé à quelqu’un
qui n’était pas toi
j’ai fait une erreur de langue
pour te divertir
t’ai-je dit
et depuis ta fuite
plutôt que de dormir
je noircis des pages
de phrases illicites
pour « faire poète » comme tu disais
avec un rythme interrompu
avec un rythme inégal
et des répétitions
tu sais je pourrais te dire
que je n’ai jamais repensé à toi
au fil de mes lectures
je pourrais te dire
que je n’ai jamais eu envie
de ton corps
mais ce serait mentir
et j’en suis incapable
même quand tu restes sans mots
derrière tes cartes postales
où tu me décris
des paysages illustrés à l’endos
je pourrais clamer
mon innocence dans cette histoire
mais je m’abstiens
par souci de véracité
alors que j’ai froid la nuit
que je pleure dans mon oreiller
je pourrais te dire
que j’ai une vie nouvelle
très très heureuse
mais ce serait
ce serait
masquer la vérité

mes cheveux ont poussé
pour qu’ils ne soient plus
ceux que tu caressais
quand je mimais le sommeil
tu sais
je guette ton retour
la nuit à deux heures
comme quand tu revenais du bar
tu sais
non
tu ne sais rien
du fond de mon désert
tu ne sais même pas
si tu as déjà existé
en moi dans ma chair
dans mes vers, mon acte
et chaque gorgée de bière
m’éloigne de toi
en me rapprochant de ton absence

j’aimerais tant
que mes vers raccourcissent
et éloignent l’éloignement
des continents à la dérive
je voudrais comprendre
pourquoi tu me hantes
même la nuit qui me voit ivre
j’aimerais faire entrer ton nom
dans mon vocabulaire courant
pour te mettre en boîte
te classer dans un tiroir
fermé à clé
et le soir
jeter à la mer ma bouteille
que je saurais impossible
il me faudrait connaître le numéro
de l’arrêt d’autobus
où tu as quitté notre nous
pour pouvoir te retrouver
mais même ton nom m’échappe ce soir
parce que tu changes de visage
au fil des mots
au fil des vers qui me grugent
je sais que demain
je ne pourrai pas me relire
et que cette nuit j’arrêterai d’écrire
quand mon bras sera faible
ou que je n’aurai plus de cigarettes indiennes
ni de volonté
et que même l’encre bleue
ne me leurrera plus dans son noircissement
quand j’aurai trop bu pour me souvenir
à qui je m’adresse
quand ton nom inconnu
peu à peu
s’estompera encore

et je repousserai
comme toujours
la fin de mon adresse à toi
la mort de tous ces mots
tombés à cause de la neige
qui n’avait pas vraiment cessé
mais était devenue invisible
sous le lampadaire
parce que trop fine
tous ces mots sclérosés
alors que plus rien n’est possible
pour me convaincre
que tu n’as jamais existé

je vis dans l’absence de ton existence
et je respire profondément
pour m’assurer
que je ne perds pas la raison ce soir
me persuader
de quelque chose d’impossible
de la valeur de mes mots
malgré la bière
malgré les commentaires
en miroir de moi
qui crient mon erreur
et qui ne connaissent pas
la dureté de la gifle

de toutes façons
tu n’es plus là
et moi
je n’arrive pas à faire taire
cette douleur
l’entends-tu ma douleur
du fin fond de mon désert
depuis Paris
ou Montréal
ou Moscou
l’entends-tu ma prière
qui n’en finit plus de se poursuivre
même quand je me lève
même quand les pages gondolent d’encre bleue
quand je n’arrive plus à écrire
sur le papier trop humide
et que je n’ai plus d’encore
l’entends-tu mon cri
je le voudrais perçant
pour déchirer la nuit
pour crier ma haine et mon mal
et mon amour
et ton absence
et ton absence dans mon lit
en moi
au plus profond de moi
quand je n’existe même plus sous le manque
comme un manteau sur un cintre
dans la penderie
celle de mon amour
celle de ma passion
et celle de ma colère
de ma colère contre toi
contre ton inexistence
quand tu m’appelles la nuit
alors que je dors enfin
que j’ai réussi
à gagner un peu de sommeil
de répit
un sursis à la mort
comme une existence à la vie
ma vie d’avant avec toi
ma vie d’écriture automatique
peut-être un peu surréaliste
ma vie de vers falsifiés
l’as-tu vu maintenant
dans cette bouteille à la mer
que la prose n’est plus possible
pour colmater toutes les brèches
alors je m’enivre depuis
depuis ton départ porté disparu
depuis l’embrasement
ce soir de décembre
pour me convaincre
que tu n’as rien su
et ne sauras jamais
à cause de la bouteille perdue

tu as voulu me revoir
t’en rappelles-tu de tout ça
de notre sursis
de ma peur face à toi
du dédain au bord des lèvres
et des découvertes dans le regard
la première fois de la première nuit
l’as-tu senti
que j’ai feint l’indifférence
du fond de mon désert
en allant jusqu’au bout
en tentant d’occulter
mon amour de l’autre
et mon ivresse

j’hésite à couper mes vers
c’est terminé
l’avais-tu senti
que j’orchestre le point final
avec la dernière gorgée
à tant d’incertitudes?

samedi 9 février 2008

I - L'autocensure et la construction identitaire

Note préliminaire:
Les textes que vous verrez sur ce blogue précédés de chiffres romains sont de courts essais que je dois écrire pour mon cours d'approche du travail créateur 2. Chaque semaine, je devrai en rédiger un ou deux en réponse à des articles ou des extraits d'essais apportés par mes collègues de classe. J'aimerais énormément avoir vos commentaires au sujet de ces textes (pour consolider ma pensée) et souhaite qu'ils permettent, dans la section «commentaires» l'ouverture de discussions, l'échafaudage de nouvelles façons de penser les arts, la littérature, le monde.

Essai écrit en réponse à l'article de Sylvie Ducas :
« Censure et autocensure de l’écrivain »[1]

Il est des sujets qu’il m’est difficile d’écrire auprès de mes proches; je crains leurs réactions. Mais je ne peux attendre d’être seule au monde. Il y aura toujours quelqu’un à qui je voudrai cacher quelque chose.

Dans son article « Censure et autocensure de l’écrivain », Sylvie Ducas parle de cette « impossibilité pour l’écrivain d’écrire du vivant d’un proche »[2] lorsqu’une publication du texte est envisagée. Elle explique que « [d]ans la mesure où publier, c’est “rendre public” ce qui relève initialement de la sphère privée que par bienséance ou pudeur l’on doit garder secrète, tout se passe comme si l’acte de publication transgressait ce postulat du silence en mettant en mots l’intime, donc en le violant »[3]. J’aimerais apporter à cet énoncé une nuance qui me paraît fondamentale.

À mon sens, la résistance ne se produit pas uniquement lorsqu’une publication[4] est envisagée. Il est en effet des textes que l’on n’ose écrire (que l’on censure), des thèmes que l’on camoufle sous des non-dits et des écrits que l’on cache à la lecture de certaines personnes (ou de tous) par crainte que l’Autre, celui dont on redoute le regard, puisse les lire. Je soutiens que même dans les textes cachés, cadenassés[5] à la lecture d’autrui, se trouvent des dissimulations de sens; une forme d’autocensure.

Nous sommes en droit de nous demander pourquoi, même lorsque ces textes sont destinés à rester cachés, nous pouvons y trouver cette autocensure. Entre d’abord en jeu la peur du regard de l’autre. « Que penserait-il de moi s’il trouvait un tel texte écrit de ma main? » semble se demander l’auteur. « Cesserait-il de m’aimer? » Mais s’en tenir à cette première supposition me semble être une erreur ou, enfin, une manière d’autocensure…

Pour ma part, je crois tenter de me leurrer moi-même lorsque je prétends craindre uniquement le regard d’autrui. J’appréhende plutôt de devoir m’avouer certains faits que je ne suis pas prête à assumer. Je crains le regard des autres sur moi, je crains de me percevoir au travers de leur regard parce qu’il n’est pas teinté de mes propres refoulements, de mes propres censures. Peut-être crains-je de trouver dans leur regard une forme de lucidité à mon endroit que je ne suis pas encore capable d’endosser.

Il me semble qu’il y a aussi, dans le fait de ne pas écrire certaines pensées qui nous troublent face à notre propre identité, le refus de les faire prendre corps dans un langage écrit, dans une forme qui transforme les idées en objets matériels. Parce qu’une idée, du moment où elle est écrite, devient réelle, devient concrète. Et dès lors, elle existe hors de nous et agit comme démonstration d’une construction identitaire.

Évidemment, comme le mentionne Ducas, cette autocensure peut aussi être à l’origine du développement de dispositifs littéraires visant à camoufler la vérité[6] du sujet. Mais il faut rester vigilant face à cet énoncé, puisque l’acte d’écriture comporte également, à mon sens, une part de travail sur l’identité du sujet écrivant. À toujours dissimuler derrière des procédés (conscients ou non) des parts de nos réflexions, n’y a-t-il pas un danger de ne pas confronter notre identité en construction à une matérialité qui, bien que déroutante, peut nous aider à avancer dans notre développement, tant personnel que littéraire?[7]

Certes, cette avenue n’est pas rassurante. Elle n’est pas non plus facile à envisager parce qu’une partie de l’autocensure se fait de façon inconsciente. Il faut parvenir, grâce à l’écriture, aux lectures des autres et à certains stratagèmes (la distanciation du milieu familial, par exemple), à trouver quelles sont les parts de nous-mêmes que nous tentons d’occulter. Mais même si cette avenue effraie, elle me semble inévitable si on désire ne pas toujours reproduire les mêmes textes, les mêmes actions.

[1] DUCAS, Sylvie, « Censure et autocensure de l’écrivain », Ethnologie française, XXXVI, 2006, 1, p. 111-119.
[2] Ibid, p. 113.
[3] Idem
[4] Ici, le terme « publication » est employé au sens mentionné précédemment, tel que défini par Sylvie Ducas.
[5] Pensons au journal intime cadenassé, caché entre deux matelas et soustrait à la connaissance de tous.
[6] À ne pas confondre avec « véracité ».
[7] J’adapte ici au développement de la pensée l’idée psychanalytique selon laquelle le rêve n’existe que lorsqu’il est raconté, mis en récit. Voir à ce sujet L’interprétation des rêves, de Sigmund Freud.

vendredi 8 février 2008

1. j'aimerais

j’aimerais seulement qu’un matin – demain peut-être – on ouvre en même temps les yeux et qu’on se cherche du regard avec un sourire au coin des lèvres, que tous les soirs tu sonnes à ma porte à l’exact instant où je prononçais ton nom en serrant mon oreiller contre mon corps

tu me dirais « je sais que ça ne se fait pas », qu’il ne fallait pas oser, « on n’invente pas comme ça une histoire d’amour », tu ajouterais que tu ne veux pas t’imposer à moi et que tu pourrais comprendre que je sois avec une autre, tu dirais que tu regrettes d’être venue; tu attendrais que j’approuve en me regardant dans les yeux avec quelques détournements du regard en te mordant la lèvre inférieure

je te laisserais parler, esquisserais un sourire, et quand tu aurais épuisé tes excuses préparées dans le métro en venant ici, je te dirais de monter, que ça me fait plaisir que tu sois là et que justement aujourd’hui j’ai pensé à toi, je te dirais peut-être que j’ai rêvé de toi pour la première fois, dans une histoire surréaliste de survols de continents, te confierais que dans mes rêves, je vole comme on nage dans l’eau parce que je ne connais pas autre chose

tu monterais l’escalier et je m’excuserais du désordre et des chaussures qui traînent, tu enlèverais tes bottes et entrerais dans l’appartement, verrais du premier regard mon lit défait, les draps mauves et en bataille, l’oreiller vertical qui était ton corps et tu dirais : « je t’ai réveillée »

moi : « je ne dormais pas encore »