Sur Marelle, Julio Cortázar[1]
« En lisant son livre, on avait par moments l’impression que Morelli avait espéré que l’accumulation des fragments se cristalliserait brusquement en une réalité totale. »[2] Cette phrase, tirée du texte Marelle, est énoncée relativement à la conception que Morelli, écrivain que Cortázar met en scène, aurait de la réalité. Celle-ci ne pourrait se concevoir que fragmentairement. Cet écrivain décrirait ses personnages « sous la forme la plus spasmodique qui soit »[3], ce qui permettrait au lecteur de « participer presque au destin de ses personnages »[4]. Cette idée de la participation du lecteur dans le récit m’apparaît très intéressante, voire primordiale.
En effet, je crois foncièrement que le lecteur d’un texte doit pouvoir y trouver sa place, cet endroit où il peut venir s’inscrire dans le récit. C’est ce qui, à mon sens, permet à une œuvre d’être polysémique et de traverser les époques, puisque chaque lecteur, lorsqu’il peut y trouver une place, peut en faire analyse personnelle, une étude qui se voit modifiée par le contexte social. Cette inscription de la subjectivité du lecteur dans le texte permet à l’œuvre de se réactualiser.
Cette participation du lecteur au texte, je tente de réussir à la permettre dans mon travail créateur. En consignant mes souvenirs d’un événement survenu durant l’enfance et ses répercussions sur ma vie passée et actuelle, ainsi que les modifications, parfois imperceptibles, de ces souvenirs – modifications qui surviennent en fonction de mon évolution en tant que sujet écrivant – je ne peux faire autrement que de laisser place à ce qui m’échappe de cet événement.
Je ne trouverai jamais de preuves à tous les éléments que j’avancerai dans mon récit. C’est, il me semble, à ce niveau que pourra venir s’inscrire le lecteur, dans le choix qu’il fera entre les diverses versions de mes souvenirs, ainsi que dans le travail de colmatage qu’il lui faudra faire entre les fragments, travail qui visera à lier les « instantanés » de souvenirs. Comme je souhaite que ces interprétations puissent être aussi diverses que le seront les lecteurs du texte, il me semble vain d’espérer que les fragments se cristallisent en une « réalité totale ». Celle-ci, comme le restera mon souvenir de l’événement, sera, je l’espère, à jamais fragmentée, à jamais constituée de brèches entre les morceaux. Ou de morceaux entre les brèches…
[1] Julio Cortázar, Marelle, Paris, Gallimard, 1966, p. 411-412, p. 458-468, p. 188-189, p. 559.
[2] Ibid., p. 109
[3] Ibid., p. 488.
[4] Idem.
lundi 24 mars 2008
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