Sade, Les crimes de l’amour[1]
Je ressens inévitablement un malaise à la lecture d’un texte qui propose des clés de réussite pour l’écriture. Je me bats ardemment contre l’idée qu’il puisse exister une technique ou des méthodes permettant d’accéder à – ou de tendre vers – une forme de « perfection »[2] du texte. J’ai toujours peur que ces astuces modèlent un genre, créent des canevas à respecter ou à suivre et qui risquent d’empêcher une sorte de folie de l’écriture, voire une frénésie de l’invention. Sade invite certes à écouter les élans qui viennent au moment de l’écriture, mais je crains que d’autres de ses recommandations empêchent ce moment insaisissable et irraisonnable de la création.
La « règle de l’art d’écrire un roman »[3] qui m’effraie et m’inquiète le plus au travers de celles qu’il énonce est celle concernant la vraisemblance nécessaire des écrits : « …on ne te demande point d’être vrai, mais seulement d’être vraisemblable. »[4] J’envisage à l’inverse ma pratique d’écriture, pourtant basée sur l’autobiographie et le témoignage, comme une recherche de vérité, et non pas de vraisemblance.
Ce que je cherche à dire, par mes textes, c’est ce qui est vrai pour moi, je cherche à énoncer ce qui m’est arrivé tel que moi, je l’ai vécu, perçu; je poursuis une quête qui vise à trouver ma vérité, qui ne sera jamais la même que celle des membres de mon entourage. Je ne cherche pas une vraisemblance calculée, qui rendrait impossible, à mon avis, le travail de mémoire – personne ne peut se souvenir de la même façon des mêmes événements.
Une autre partie de mon travail s’intéresse à la retranscription des paroles des autres, de leurs témoignages. Ici, je m’intéresse au partage avec l’autre d’une expérience personnelle et je n’y recherche pas non plus de vraisemblance. Pour dire vrai, je ne m’intéresse pas à savoir si ce qu’ils me racontent est vraisemblable, ou si ces événements leur sont réellement arrivés. Ce que je cherche à trouver dans leurs témoignages, c’est une parcelle de leur vérité, un moment où il y a dans ce qu’ils racontent quelque chose qui leur est vrai.
Je pense que c’est là, beaucoup plus que dans la vraisemblance, qu’on peut retrouver la sensibilité de l’écrivain, de son regard sur le monde. Et c’est peut-être aussi lorsqu’on a accès, lors de nos lectures, à cette vérité de l’écrivain qu’on a à notre tour envie d’écrire.
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