il ne neige plus
as-tu remarqué, toi
du fond de mon désert
qu’il ne neige plus
entends-tu la rumeur lointaine
qui scande ton nom en prière
comme si tu étais un dieu
alors que je pense mourir encore une fois
d’une maladie inconnue et incurable
as-tu entendu les avions
fendant le ciel sous la lune
fais-tu le soir les cent pas
en pensant à mon nom
le répétant en boucle
pour te convaincre de mon existence
fumes-tu des cigarettes de condamné à mort
comme pour la dernière fois
choisis-tu tes vêtements de funérailles
ajoutant par coquetterie
un accessoire turquoise
et lorsque tu bois une bière
songes-tu aux bars que nous avons fermés
suis-je là à tes côtés
un peu dans l’ombre de l’absence
quand tu regardes cette enfant
est-ce la mienne aussi
et quand tu écris
quand tu écris
suis-je ton « tu »
suis-je là quelque part
du fond de mon désert
à murmurer des paroles
qui ressemblent à des cris
des appels au secours dans la nuit froide
suis-je en toi parfois quand tu fais l’amour
penses-tu à moi tout le temps
quand la nuit reste noire malgré les lampadaires
écris-tu des mots frivoles
qui parlent de nous
poses-tu des questions qui chaque fois
n’appellent que le silence
je n’ai rien su de toi
au fil des années qui s’écoulent
si déjà tu as aimé vraiment
si tu as perdu ton temps
quand je n’avais rien à te répondre
quand mon silence te figeait
au travers des siècles glacés
trouves-tu un peu de chaleur la nuit
dans d’autres bras ailleurs
as-tu fait l’amour depuis
moi je m’abstiens sans volonté
puisque personne ne te ressemble
depuis ton départ
tu sais
tu me parlais de ma prose
et maintenant je fais des vers
c’est plus court
plus essoufflé
ça noircit les pages plus vite
pour opprimer le silence
ça me convainc avant même la relecture
et je suis efficace
quand il n’y a rien à faire
à dire
j’occupe vite les vides
dont tu me parlais
ceux entre toi et moi
quand le sexe ne comblait plus
ne voulait plus rien dire entre les silences
tu sais
la troisième fois que nous avons fait l’amour
la première nuit
j’ai pensé à quelqu’un
qui n’était pas toi
j’ai fait une erreur de langue
pour te divertir
t’ai-je dit
et depuis ta fuite
plutôt que de dormir
je noircis des pages
de phrases illicites
pour « faire poète » comme tu disais
avec un rythme interrompu
avec un rythme inégal
et des répétitions
tu sais je pourrais te dire
que je n’ai jamais repensé à toi
au fil de mes lectures
je pourrais te dire
que je n’ai jamais eu envie
de ton corps
mais ce serait mentir
et j’en suis incapable
même quand tu restes sans mots
derrière tes cartes postales
où tu me décris
des paysages illustrés à l’endos
je pourrais clamer
mon innocence dans cette histoire
mais je m’abstiens
par souci de véracité
alors que j’ai froid la nuit
que je pleure dans mon oreiller
je pourrais te dire
que j’ai une vie nouvelle
très très heureuse
mais ce serait
ce serait
masquer la vérité
mes cheveux ont poussé
pour qu’ils ne soient plus
ceux que tu caressais
quand je mimais le sommeil
tu sais
je guette ton retour
la nuit à deux heures
comme quand tu revenais du bar
tu sais
non
tu ne sais rien
du fond de mon désert
tu ne sais même pas
si tu as déjà existé
en moi dans ma chair
dans mes vers, mon acte
et chaque gorgée de bière
m’éloigne de toi
en me rapprochant de ton absence
j’aimerais tant
que mes vers raccourcissent
et éloignent l’éloignement
des continents à la dérive
je voudrais comprendre
pourquoi tu me hantes
même la nuit qui me voit ivre
j’aimerais faire entrer ton nom
dans mon vocabulaire courant
pour te mettre en boîte
te classer dans un tiroir
fermé à clé
et le soir
jeter à la mer ma bouteille
que je saurais impossible
il me faudrait connaître le numéro
de l’arrêt d’autobus
où tu as quitté notre nous
pour pouvoir te retrouver
mais même ton nom m’échappe ce soir
parce que tu changes de visage
au fil des mots
au fil des vers qui me grugent
je sais que demain
je ne pourrai pas me relire
et que cette nuit j’arrêterai d’écrire
quand mon bras sera faible
ou que je n’aurai plus de cigarettes indiennes
ni de volonté
et que même l’encre bleue
ne me leurrera plus dans son noircissement
quand j’aurai trop bu pour me souvenir
à qui je m’adresse
quand ton nom inconnu
peu à peu
s’estompera encore
et je repousserai
comme toujours
la fin de mon adresse à toi
la mort de tous ces mots
tombés à cause de la neige
qui n’avait pas vraiment cessé
mais était devenue invisible
sous le lampadaire
parce que trop fine
tous ces mots sclérosés
alors que plus rien n’est possible
pour me convaincre
que tu n’as jamais existé
je vis dans l’absence de ton existence
et je respire profondément
pour m’assurer
que je ne perds pas la raison ce soir
me persuader
de quelque chose d’impossible
de la valeur de mes mots
malgré la bière
malgré les commentaires
en miroir de moi
qui crient mon erreur
et qui ne connaissent pas
la dureté de la gifle
de toutes façons
tu n’es plus là
et moi
je n’arrive pas à faire taire
cette douleur
l’entends-tu ma douleur
du fin fond de mon désert
depuis Paris
ou Montréal
ou Moscou
l’entends-tu ma prière
qui n’en finit plus de se poursuivre
même quand je me lève
même quand les pages gondolent d’encre bleue
quand je n’arrive plus à écrire
sur le papier trop humide
et que je n’ai plus d’encore
l’entends-tu mon cri
je le voudrais perçant
pour déchirer la nuit
pour crier ma haine et mon mal
et mon amour
et ton absence
et ton absence dans mon lit
en moi
au plus profond de moi
quand je n’existe même plus sous le manque
comme un manteau sur un cintre
dans la penderie
celle de mon amour
celle de ma passion
et celle de ma colère
de ma colère contre toi
contre ton inexistence
quand tu m’appelles la nuit
alors que je dors enfin
que j’ai réussi
à gagner un peu de sommeil
de répit
un sursis à la mort
comme une existence à la vie
ma vie d’avant avec toi
ma vie d’écriture automatique
peut-être un peu surréaliste
ma vie de vers falsifiés
l’as-tu vu maintenant
dans cette bouteille à la mer
que la prose n’est plus possible
pour colmater toutes les brèches
alors je m’enivre depuis
depuis ton départ porté disparu
depuis l’embrasement
ce soir de décembre
pour me convaincre
que tu n’as rien su
et ne sauras jamais
à cause de la bouteille perdue
tu as voulu me revoir
t’en rappelles-tu de tout ça
de notre sursis
de ma peur face à toi
du dédain au bord des lèvres
et des découvertes dans le regard
la première fois de la première nuit
l’as-tu senti
que j’ai feint l’indifférence
du fond de mon désert
en allant jusqu’au bout
en tentant d’occulter
mon amour de l’autre
et mon ivresse
j’hésite à couper mes vers
c’est terminé
l’avais-tu senti
que j’orchestre le point final
avec la dernière gorgée
à tant d’incertitudes?