mercredi 30 décembre 2009

Silence

L’intimité s’installe. On apprend les détails d’elle. On découvre, ravie, le souvenir de ses traits au fond de la mémoire. Elle est là, jusque dans l’éloignement de la vie ordinaire.
Quand on la retrouve, la fête éclate. Pendant un temps, on oublie encore l’enfance. L’avenir s’installe.
Un matin, elle se réveille avant nous. Elle fixe des yeux le petit cadre, l’unique objet laissé par la femme morte. Fabriqué main, un cœur encadré, avec des mots : « Je t’aime » et notre nom.
Elle demande qui nous a offert ce cadre.
On prend du temps avant de répondre. Pour elle, on veut trouver les mots exacts.

jeudi 29 octobre 2009

nuit

vers la brunante
noire écarlate
tes lèvres

attendre
dans tes yeux
le signal

*************

au profond de la nuit
ta voix
un souffle à peine
audible

haletante
des mots pour
éclore

doucement
le mauve des draps

*************

dans le noir du soir
un filet alto

là s’élève
la clarté des songes

tu te retournes

*************

vers l’aurore
entre rose et réveil
le murmure

ton bras sur
mon ventre offert

mercredi 28 octobre 2009

vers le vide

il faudra sauter inévitablement


en attendant
moi
j’hésite tout en bas
déjà épuisée
à force de demi-tours

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c’est muette que j’avance invisible pour moi-même, je mâche ma langue pour m’empêcher de dire que

non, je ne peux pas je dois me taire je ne sais pas pourquoi parce que tout le monde me force à parler tout le temps de

il y a quelque chose qui m’échappe comme quelque chose qui fuit mais je ne le trouve pas le trou qui laisse s’enfuir le

je voudrais que crier ce soit se taire

je pense à toi
ces mots de ton corps
interdits

pire encore
ceux du mien sur le tien
trop semblables

mes seins brûlent



à force silence, plus rien à dire
sauf
les yeux qui s’enfoncent
le cœur qui implose
et dans la gorge une boule de


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le sais-tu que demain
j'irai jeter mes mots
et je brûlerai au jour
ton visage en poèmes

ne tente pas de me retenir

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je rage j’avale je n’arrive pas à te crier au visage à cracher ma colère contre toi et l’effet de ton indifférence comme une rafale au visage un crachat sous l’œil droit quand je voudrais embrasser tes lèvres

et toi tu le sais tu le sens tout de moi transparaît dans mes traits
je ne suis pas ça pour toi et pourtant moi je m’effrite en même temps
le vois-tu au moins que je m’effrite de toi ?
le vois-tu que je meurs un peu plus chaque fois que tu me dis non, que tu me parles de lui ou d’elle ou de toi et que moi j’acquiesce
« Oui oui je comprends tu vas voir tu vas aller mieux, viens on va aller marcher, viens on va aller faire ce que tu veux tout le temps, tout le temps, non moi ça va ne t’inquiète pas »

mais je ne dors plus
je rêve à toi
le sais-tu

je deviens invisible inatteignable inadmissible
un nuage qui s’élève au-dessus de tout ce qui existe de tout ce qui se palpe
je suis intouchable
tu peux bien partir je m’en fous
va t’en c’est ça oublie-moi
je m’en fous tellement
va t’en
jusqu’à


« oui quoi c’est toi ça ne va pas viens prends ma main
on va aller marcher »


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j’ai encore craché
des mots en cascades
pour m’étouffer

j’ai couru au précipice
parce que la marche trop lente
oblige à réfléchir

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la chute n’a rien effacé
mais
le vertige m’a remplie de vide

peut-être que ma tête n’explosera pas

le fourmillement dans le ventre
était
une tristesse ivre

pendant un instant je n’ai plus pensé à toi


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j’ai tout effacé
jusqu’à la dernière trace
il ne reste que des phrases
et comme elles sont inutiles
console-moi

quand je crie
arrête le temps
du vertige en chutes libres

j’ai tout supprimé
jusqu’à tes mains
il ne reste que ton souffle
et comme il est court
ne me parle pas

serre-moi fort seulement
une minute
si ce n’est pas impossible

j’ai tout caché
jusqu’à demain
il ne reste que la marque
et comme elle s’estompe
allume une cigarette

tends-la moi
reste encore
je ferai du café
reste, je te le jure :
ne voudrai plus jamais sauter

reste
je te le jure
reste

et peu à peu
nous serons pris d’un grand éclat de rire

il faudra tout recommencer


jeudi 24 septembre 2009

Résistance

Au réveil, sa main encore glissée entre nos cuisses. Elle dort. Au creux du ventre, les monarques s’affolent. Les jours s’accumulent au bout de nos doigts. Huit, neuf, dix depuis que les regards se sont happés.
Mille inconnus entre nous. Même son odeur n’a pas fait son nid au creux des jours d’absence. On ne sait ni sa date de naissance ni ses fleurs favorites ni ses rides ni ses peurs.
On ne sait pas encore dormir avec elle contre nous.
On n’a rien dit de l’existence de la femme pendue. Pour la première fois, on a gardé secrète l’histoire de l’enfance. Il n’y a pas d’urgence; elle n’est pas partie pendant l’assoupissement.
On ne veut pas dire. On ne veut pas effrayer. On continue à pousser loin au bout de nos bras le cadavre suffoqué. On ferme les yeux en serrant les paupières.
Un jour, on dira.
Un jour, on apprendra qu’elle aussi a déjà été une enfant.

lundi 21 septembre 2009

Quiétude

Longtemps. Longtemps à pousser loin le souvenir d’elle et les images. On se dit : « une simple pause ». On se dit : « pour mettre à distance ». Se convainc d’avoir choisi.
Pendant l’entracte, derrière un nuage de fumée, un nouveau visage de femme s’est révélé. Pour la première fois, rien de furtif. On guette la disparition. Elle n’arrive pas. La peur de perdre s’enfle avec tout ce qui naît, puis meurt, à l’horizontale, au contact des lèvres quand les doigts s’emmêlent.
La peur devient vagues et ressac. On se laisse flotter. Emporter jusqu’à l’horizon noir des nuits d’automne.
Dans le silence des ses yeux fixés aux nôtres, la suspension du temps.
On soupire jusqu’à s’envoler la tête.

jeudi 20 août 2009

Cahier 6 avril 2008

Je viens de retrouver ces deux pages de texte, que j'ai dû écrire dans un cahier. Le titre du document: cahier 6 avril 2008. Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrit. Mais aujourd'hui, près d'un an et demie plus tard, il me touche énormément.

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6 avril 2008

C’est la fête de ma grand-mère.
Je l’ai appelée. Je l’ai vue hier.
Elle m’a dit : « Tu viendras me voir.
Je prépare mon testament.
Je veux savoir ce que tu veux. Dans les livres. »

C’est le jour de sa fête et elle prépare son testament.

Je crois que ma grand-mère n’a pas d’inspiration.

L’inspiration, c’est le souffle de la vie.
Le bouche-à-bouche à l’âme qui menace de mourir.

Au fond, je me dis que l’inspiration n’existe peut-être pas. Ce qui existe, c’est l’acuité du regard que l’on décide de poser sur le monde.

Ce qui existe, c’est la décision de vaincre la douleur tous les jours, celle de tasser du bras le corps qui pend dans le garde-robe pour prendre son vêtement préféré. C’est mettre son plus beau pantalon, celui qu’on ne met que pour les funérailles, et aller sauter dans les flaques d’eau boueuse.

Ce qu’on appelle « l’inspiration », au fond, c’est un archivage de photographies immatérielles, un album photo, ou comme l’écrit Louise Dupré, un « album-souvenir » dans lequel on peut aller puiser une ou quelques images et partir de là pour créer ou expliquer une théorie complexe.


Dans mon album, il y a ce que les spécialistes littéraires appellent des « biographèmes », qui sont un peu, dans le film de notre existence, ce que Barthes appelait « punctum » d’une photographie.

Je vous en note quelques uns, pour vous autant que pour moi.

- La femme morte, évidemment, qui s’est pendue quand j’avais huit ans dans le garde-robe de ma chambre.
Ça, on ne peut pas dire que c’est de l’inspiration.
- Mon enfance à la campagne. Je me sens intrus dans cette appellation, dans cette volonté de dire que j’ai grandi là-bas, et pourtant, j’appartiens à cet espace.
-


je n’arrive pas à me souvenir aujourd’hui

Je suis triste. Je suis rarement triste, mais ça fait deux fois dans les cahiers.

Je suis triste comme on est triste au printemps quand on est seul. J’aimerais être amoureuse, j’aimerais être capable de ça. J’aimerais qu’on soit amoureuse de moi.

Ce qui manque le plus, c’est le contact physique. Je sais à qui je m’adresse, ce n’est pas votre situation. Je ne sais pas grand-chose de votre situation.

Couchez-vous sur votre lit, sur le dos ou sur le ventre. La seule chose que vous pouvez serrer dans vos bras, c’est un oreiller. Ou une couverture, peut-être.

Un « amant de paille », écrirait Mélanie Gélinas.

Couchez-vous sur le lit et imaginez que personne n’a touché votre corps depuis avant la nouvelle année. Questionnez chacun des senseurs de votre épiderme. Sentez-les appeler le toucher de l’autre, sa présence. À la limite, il n’y a rien là de sexuel. Tout ce qui importe, c’est l’absence de la présence.

Dites-vous qu’il n’y aura personne pour vous toucher avant très longtemps. Vous n’aurez personne à toucher non plus, personne à qui offrir l’affection qui déborde de votre corps.

Ça crée comme une tension électrique en vous.

Vous devenez chargé à bloc, surchargé d’un trop plein à déverser. Le barrage menace de sauter, mais il tient bon, les eaux montent, montent en vous, et vous retenez le trop plein, vous n’allez pas vous mettre à pleurer juste parce que c’est le printemps et que vous êtes seul, après tout ce n’est pas la première fois que ça vous arrive.

Vous êtes là dans votre lit et vous imaginez encore une fois que telle ou telle personne sonne à la porte de chez vous et vous dise : viens, on va juste faire une sieste, collées.

Et vous dormez toute la nuit avec vos lèvres posées sur son épaule, ou sa main sur votre ventre, ou vos jambes enlacées aux siennes ou votre tête au creux de son épaule et vous n’avez pas eu envie ou besoin tout de suite de faire l’amour, ce n’était même pas ça qu’il vous fallait.

Le lendemain matin, vous ne savez pas à quel moment la petite caresse sur le bras est devenue un mouvement de tout le corps. Vous ne savez plus quand les bouches se sont rencontrées pour la première fois, dans l’escalier ou dans le lit ou dans la douche, de ça vous ne savez rien.

Tout le jour suivant, vous le passez au lit avec cette personne, sous un rayon de soleil qui promet l’été.


Maintenant, ouvrez les yeux. Votre corps demande encore la présence de l’autre.

Vos yeux brûlent tout à coup, et c’est l’inondation.

Tout ce que vous pouvez faire, c’est écrire. Et désirer être dans le texte.

lundi 13 juillet 2009

Patience

Il y a des mois qui passent sans un mot sur elle. Elle n’a jamais existé sinon dans la mémoire des autres. On se dit : il n’y a plus rien à ajouter. Elle était là, elle est partie. Il suffit de vivre sans elle.
Il y a du temps qui passe et des mots qui se perdent. On ne consigne plus les souvenirs infinis qui continuent à surgir. Il y a d’autres femmes qui arrivent et qui partent. Des insultes ravalées jusqu’aux larmes nocturnes. Il y a tous les efforts pour ne penser à personne, il y a des nuits d’insomnie où l’amour déborde. Des mots répétés, ajoutés, trafiqués, des bandes passées et repassées jusqu’à l’épuisement.
Pire que tout : le vide sur les pages. On ne construira rien avec ce récit de femme morte, comme on ne bâtit rien avec ceux des vivantes. C’est tout. Faire une croix et changer les espoirs.
Il faut croire. À notre insu, des histoires s’écrivent d’elles-mêmes.

sans mots

je suis une femme sans courage

devant toi, les mots s’étouffent
j’ai besoin d’eau
mes lèvres collent, les commissures
ta bouche : un mirage

tes yeux se lèvent
d’abord les cils, puis la couleur
du gazon arraché entre les doigts
j’ai détourné le regard

je suis une femme analphabète

vendredi 19 juin 2009

Oubli

Il y a des souvenirs sur le bout de la langue.
Un mot suffit, un seul. Et survient l’image enfumée d’un reflet. Furtivement, la certitude de quelque chose. Une précision insaisissable.
Parfois, un appel, un message, une voix. L’essence pressentie s’estompe, il y a toute la vie autour. On ne peut continuer à attendre passivement la crue des passés.
Longtemps, il n’y a rien qui nous rappelle l’évanescence.
Tout se passe comme au souvenir d’un rêve au milieu du jour. Il y avait une couleur, un mot. Il y a parfois eu des sensations, les poils qui se dressent ou le ventre qui papillonne.
Mais au final, on ne trouve rien.
On se console en pensant à la sélection naturelle des souvenirs.
Un jour, il y aura peut-être un fossile de l’inachevé.

jeudi 11 juin 2009

(entorse à l'abécédaire)

J'ai retrouvé ce texte en fouillant dans mon ordinateur. C'est un premier jet, pas retravaillé du tout, qui date d'il y a deux ans, presque jour pour jour. Je venais alors de déménager dans l'appartement que je quitte dans une semaine. Bien des choses ont changé, depuis. Moi aussi. Mais vous y trouverez la romantique finie que je suis...

***

J’étais certaine que c’était des tests pour les feux d’artifice. Je n’avais pas pensé à des éclairs, malgré la chaleur accablante qui pesait sur la ville depuis quelques jours. Au début de l’été, j’ai toujours tendance à oublier que ça existe, les orages de chaleur. En fait, chaque année, j’oublie ce que transporte chaque saison.

Je fais souvent des rêves de tornades. Elles s’avancent vers moi et je suis la seule à avoir peur, à trouver ça inquiétant. Tous les autres peuvent continuer à s’amuser, moi, j’en suis incapable. Finalement, dans mes rêves, c’est moi qui ai raison. Il fallait se méfier de ce qui s’en venait. Ce qui est toujours extraordinaire, c’est que ces tornades, multiples, que je vois à l’horizon, sont magnifiques. Finalement, une se détache du lot et s’avance vers nous. La plupart du temps, elle détruit l’environnement, mais pas nous, on arrive à se cacher à temps dans un sous-sol. Personne n’est atteint. Personne ne meurt. Et je me réveille.

Ils disent sur cyberpresse qu’il y a eu une tornade qui a été aperçue à Louiseville aujourd’hui. Dans mon dernier rêve de tornade, il y avait Louise de mon boulot, c’est quand même un drôle de hasard. Je ne dois pas commencer à croire à ces sornettes de divination.

Alors si on résume, dans la même journée, il y a eu la tornade à Louiseville et l’orage de chaleur. Et Pauline Marois couronnée à la tête du Parti québécois. Ça fait une grosse journée, quand on y pense. Avec les feux d’artifice, en plus…

J’étais supposée aller voir les feux avec elle, comme la semaine précédente, mais finalement, à cause de la pluie qui menaçait de tomber – en nous libérant enfin de la chaleur accablante – on a décidé de remettre ça. Elle m’a dit : je pourrais venir visiter ton appartement. J’avais emménagé trois semaines et demie auparavant. Évidemment, je lui ai dit qu’elle était la bienvenue. J’ai attendu que la sonnette retentisse. Quand elle est arrivée, il avait commencé à pleuvoir. Je lui ai passé quelques vêtements de rechange, trop grands, pendant que son linge tournait dans la sécheuse. Je lui ai fait visiter l’appartement, puis je l’ai invitée à s’asseoir sur mon balcon, sous le petit toit, pour profiter de la fraîcheur que la pluie amenait. Elle n’avait pas l’air vraiment rassurée, avec le bruit du tonnerre, mais elle n’a pas protesté. Nous nous sommes installées sur les chaises de patio, devant le parc et nous avons attendu les prochains éclairs. C’était un peu comme des feux d’artifice, mais en plus effrayant. Nous avons bu un verre, fumé une cigarette. Normalement, elle ne fume pas, mais cette fois, j’ignore pourquoi, elle a pris quelques bouffées de ma cigarette.

Les orages et la pluie me donnent toujours envie de me coucher en boule dans mon lit, c’est encore mieux quand on est deux, collées, et qu’on peut parler un peu. Je lui ai dit ça, et elle m’a regardée dans les yeux en me disant : « Mais pourquoi on ne le fait pas? » J’étais estomaquée. Je ne pensais pas qu’elle allait me répondre ça. En moins de deux, on était dans mon lit, couchées sur les couvertures, à cause de la chaleur. Elle s’est collée à moi. C’était un mélange de tendresse et de peur de petite fille qu’il y avait dans tout son corps. J’ai fermé les yeux pour sentir un peu mieux son odeur. J’ai enlevé mes lunettes que j’ai posées sur la table de chevet. Pour faire ça, il fallait que je m’étire par-dessus elle. J’essayais de ne rien brusquer, mais elle a profité de ma situation pour enserrer ma taille. Je n’ai pas pu faire autrement que de m’abandonner un petit peu contre elle. Elle m’attirait vraiment beaucoup, depuis longtemps. Pas si longtemps, au fond, mais j’avais l’impression que ça faisait longtemps. Comme si avec elle le temps était plus long, mais pas dans un sens péjoratif. Seulement un peu plus long qu’à l’habitude, comme si on pouvait prendre notre temps. Je lui ai demandé : « Tu es bien? » et elle a dit « Oui ». Nous nous sommes endormies, enlacées.

Nous avons filé toute la nuit comme ça, serrées l’une contre l’autre malgré la chaleur. Au réveil, nous n’avions pas bougé. Toutes les deux insomniaques depuis le début de la canicule, nous avions réussi à nous reposer. Comme je me suis réveillée avant elle, j’ai entrepris de la réveiller tranquillement, en caressant son corps. Peu à peu ses yeux se sont ouverts. Quelques fractions de secondes m’ont laissé comprendre qu’elle ne savait pas trop où elle était. Puis elle s’est rappelé la veille. Elle a répondu à mes caresses. Ça a pris quelques minutes avant qu’on s’embrasse pour la première fois. Je serais restée comme ça longtemps, juste mes lèvres accrochées aux siennes. On a fait l’amour. On a fait du bruit, je crois, parce que quand je me suis pointée dans la cuisine, pour partir du café, mes colocataires me regardaient avec un air entendu. J’ai fait mine de rien, j’ai parti le café et je suis retournée dans ma chambre. Elle était assise sur le lit, nue, les genoux sous le menton. Elle m’a regardée longtemps. M’a dit : « On est pas toutes seules? » Je lui ai dit pour l’air étonné de mes colocs, ça l’a fait rigoler. On a ri ensemble, et, inévitablement, on s’est encore retrouvées au lit, oubliant le café qui bouillait sur la cuisinière. Heureusement que mes colocs étaient là pour s’occuper de la napolitaine. Sa peau goûtait le sel à cause de la chaleur qu’on avait eue la vielle. Heureusement, avec l’orage, l’air s’était allégé. On a décidé d’aller prendre notre douche avant de faire d’autre café. Pour ça, il fallait passer devant le salon, les chambres des colocs et par la cuisine. Inévitablement, il fallait nous montrer.

Elles étaient assises dans la cuisine, elles discutaient de l’élection de Pauline Marois à la tête du Parti québécois, ou des tornades à Louiseville, je ne sais plus. Moi, je n’avais pas rêvé de tornades, cette nuit-là. Elles m’ont vue entrer dans la cuisine, m’ont souri, avec un air entendu. Quand elles l’ont vue me suivre, leur visage a un peu changé. Je la leur ai présentée, elles ont fait mine de rien, la saluant poliment. Moi je savais bien que ce n’était pas ce à quoi elles s’attendaient. On est rentrées dans la douche, mine de rien. Elle m’a questionnée du regard. J’ai dit : « Elles s’attendaient pas à ce que tu sois une fille. » Elle a demandé : « Elles ne savent pas? » J’ai répondu : « Non. Moi non plus avant je ne voulais pas le savoir tant que ça. »

Elle ne savait pas que pour moi c’était la première fois avec une fille. Elle était étonnée. En même temps, je crois que ça l’excitait. En plus de savoir les deux filles étonnées. Je lui ai assuré que les filles n’en seraient pas scandalisées ou dérangées. Qu’il fallait peut-être leur laisser du temps. À nous aussi d’ailleurs.

On a passé trois jours complets ensemble, sans se quitter d’une semelle. Sans quitter vraiment mon lit non plus, sauf pour nous nourrir et nous laver. Quand elle est repartie de chez moi parce qu’inévitablement il fallait que la vie – j’entends par là le travail – reprenne son cours, ça a fait un vide. En quelques secondes à peine, j’arrivais à m’ennuyer d’elle, de sa présence, de son regard, de son corps, aussi. Mes colocs avaient besoin d’une petite mise au point. On s’est assises dans le salon. Je leur ai dit que j’étais bien avec elle. Elles m’ont dit : « Tu seras l’homme de l’appart. » Tout simplement, je leur ai répondu « non », je savais que ce n’était pas ça. Elles ont compris, je crois. On s’est débouché des bières pour fêter un peu le fait que j’aie quelqu’un dans ma vie. Je me trouvais vraiment chanceuse d’habiter là. Elles m’ont dit, au cours de la soirée : « Elle est belle, en tous cas. »

Après quelques bières et un « joint de la victoire » comme elles disent, j’ai été heureuse de retrouver son odeur dans mon lit.

lundi 18 mai 2009

Nuance

Un jour, une rédemption. Un visage aperçu qui ne portait rien d’elle.
Il reste donc des femmes qui vivent hors de la mémoire.
On aime le visage, on s’y attache, y revient, on le peint. Il y a quelque chose dans ce visage qui n’appartient qu’à nous. Il y a tout ce qui n’existait pas encore : l’amour d’une femme, le désir, les lèvres rouges.
Il y a tout ce que la femme pendue ne saura jamais de nous. Et nous inventons sans elle, avec jouissance, une histoire hors de l’enfance.
Entre le visage aimé et nous : un abîme de fêlures. Des heures et des heures à raconter, à découvrir, à déterrer, à ensevelir. Des efforts pour cacher, pour savoir, pour se taire, pour parler.
Ça dure. Un temps variable. Il y a des épiphanies et des goûts amers.
Parfois, ça s’essouffle et il n’y a rien à faire.
Un jour, on pense : les images accélérées ne sont plus les mêmes.
Et les traits se mélangent.

dimanche 17 mai 2009

Moment

On perd foi en l’heure.
Tout à coup, les images accélèrent. Elles défilent, défilent et se heurtent aux oeillères. Elles explosent, leurs parcelles pulvérisées se glissent jusqu’à notre cœur, emplissent nos poumons, assèchent notre bouche et nos yeux. Les arbres se rapprochent, étouffent la route.
Arrêt sur image : chaque feuille est gravée d’une parcelle d’elle. Un mot, un masque, un cœur, des poils de taureau, des ailes de libellules. Les feuilles sont sombres, grises et noires, parfois des sumacs rouges ou bourgognes.
On n’a pas le temps de tout saisir. On ne garde que quelques impressions furtives.
On court entre les images. Soudainement, on ne sait plus : vers quoi court-on? Depuis combien d’heures?
Le temps indique : deux ans, trois ans de course.
Et on s’étonne que tout ait changé.

samedi 18 avril 2009

L.

Il n’y a pas de mot pour remplacer son nom.
C’était elle, cette femme pendue.
De jour, elle plane, vautour ou étoile, sur Montréal. La nuit, elle regagne peut-être ses arbres.
C’est toujours elle, L., et on ne sait pas pourquoi taire son nom. Quelque chose du rituel qui refuse le mausolée.
Elle. Son visage gratté dans la mémoire. Effacés : son odeur, sa voix, ses mots. Seule l’absence ne disparaît jamais.
Un jour, elle s’est réveillée. A attendu d’être seule. A posé une lettre dans l’entrée. A volé la ceinture du père. L’a nouée dans le garde-robe de notre chambre. A installé une chaise. A passé sa tête dans le nœud coulant. A poussé la chaise avec ses pieds. A suffoqué. Est morte.
On peut inventer tous les gestes.
On ne saura jamais ce qu’elle a pensé.
Parfois, on interroge le ciel ou les arbres.

vendredi 3 avril 2009

Kilomètres

Il y a de vastes distances à parcourir.
On ne sait rien. Rien de l’écart entre soi et l’arrivée. On ne sait pas s’il y aura un point de chute. Si le travail se fait vainement, dans une tentative désespérée de ranimer les morts.
Il y a des doutes. Des espaces et des espaces remplis de doutes. Et on les balaie et les réprime et les nie.
Ils s’agglutinent au plus près du corps. Entravent l’avancée. Courir dans une vaste étendue d’eau, une menace à sa poursuite.
Et si l’essoufflement ne libérait jamais les bronches, aurions-nous la force de faire demi-tour, de parcourir à nouveau tout ce calvaire uniquement pour revenir au point de départ? Peut-être aurait-il fallu prendre l’autre chemin. Était-ce celui de droite ou de gauche?
Au travers des doutes, il y a quelque chose. On ne sait pas d’emblée nommer ce qui tire chacun de nos pas.
Une pensée furtive : et si on ne faisait pas erreur? L’instant d’un espoir, le pied se soulève, se pose un peu plus loin. L’autre suit.

samedi 28 mars 2009

Jaillissement

Il y a des pas, toujours le même point d’arrivée. On ne voit plus les paysages. Ni les bancs, ni les immeubles, ni les arbres.
Parfois, des sourires, des visages nous arrêtent. Les cheveux noirs, les lunettes fines. Le nez long. Ce pourrait être elle. Toujours se rappeler de croire.
Il y a, un matin, une vitrine oubliée. Ça parle d’elle. La vitrine parle d’elle. Des mannequins de plastique, désarticulés, blanchis par le soleil. Des affiches bleuies, collées dans les vitres. On sent quelque chose. Un souvenir vaporeux. Il faut laisser du temps à la crue des images.
Ça arrive. La vitrine parle des masques.
Elle nous en avait fabriqué, en plâtre. L’intimité de l’activité. L’immobilité pendant le séchage.
On dit le mot : « Masque », pour ne rien oublier.

jeudi 19 mars 2009

Images

Il y a peu de détails au premier pas. Le vide suffoque.
La vision se rend périphérique. Il ne faut rien rater des mots qui frôlent : lingerie, impuissance, nœud, exil.
Soudainement, l’invraisemblance de son visage multiplié. Des pendus menacent toutes les ombres. Il y en a partout, accrochés aux arbres et aux réverbères. C’est l’automne et on en décore nos porches.
Tous les jours, ils émergent : dans les livres, au creux des conversations, au sein des drames de guerre. Leurs visages s’inscrivent en transparence sur le sien. Bleus, suffoqués, la langue pendante. On croit connaître les marques autour du cou. On ne sait plus rien du vrai, du faux. Il y a des soirs où elle n’a peut-être jamais existé.
On craint de sombrer, entre l’ignorance et l’invention. Ne plus dompter notre folie, avoir créé notre drame. Chaque espace appréhende l’écueil.
Il y a des périls jusque dans les jeux d’enfance.

dimanche 15 mars 2009

Halte

Le vertige s’ancre dans les ignorances.
Au début, on ne sait pas la permanence des failles. On fouille, déplace, nettoie pour trouver les parcelles oubliées. La quête devient obsession. Elle s’inscrit dans la banalité des gestes.
Peu à peu, les morceaux s’emboîtent, puis se disloquent et recommencent. L’éternité du cycle se dévoile. On écrit, on parle, on marche pour mettre de l’ordre. Puis, au détour d’une rue, parce que le soleil inonde la façade d’un immeuble gris, l’évidence méduse : les brèches seront toujours inévitables.
Il n’y a même plus de photos pour nous rappeler son visage.
Pour reprendre la marche, on doit se résoudre à l'imagination.

mercredi 11 mars 2009

Gel

Ça monte. L’engourdissement des muscles à l’intérieur de la peau.
Il arrive que la glace soit invisible aux yeux des épargnés. L’épiderme cache les cristaux. Personne ne soupçonne la sclérose des images au cœur de l’immémorial. Nos sourires miment la chaleur pour répondre aux appels des foules. Ce sont nos bouches, figées, qui persuadent les masses. On se réjouit : aujourd’hui ne soutient plus les regards.
On peut garder le rôle longtemps. Un matin, notre reflet arrive à nous duper. L’espace de quelques jours, il y a la certitude d'une rédemption. Elle frôle la survie des débauchés.
C’est un jeu de cachette hors de l’enfance.
Un jour, on se réveille, à nouveau lové contre le vertige.
Les rideaux ne suffisent plus à dissimuler nos formes adultes.

lundi 2 mars 2009

Fracas

Il y a soudainement la vie qui éclate en mille miettes.
Tout ralentit. On perçoit précisément la chute : un pivotement dans l’espace, le reflet du soleil dans une courbe de l’objet, un mouvement inutile pour tout retenir. Dans un éclair, un visage est disparu. Puis, le silence. Ou plutôt, le feutre des pas dans la neige neuve. Tout aurait dû être pulvérisé dans un vacarme infernal. On reste fasciné devant l’éteinte des pires fêlures.
Pendant un instant, l’acouphène d’une pensée : ce pourrait être la fin des rires.
L’instant dure. Parfois longtemps.
Il arrive que la main quitte l’épaule.
Il arrive que l’on ferme les yeux sur l’arrachement.
Alors, c’est le froid qui transperce jusqu’à fixer ensemble la langue et les lèvres.

mardi 17 février 2009

Équilibre

On ne perçoit d’abord que l’immobilité.
Les yeux fixés sur l’impossible, le regard s’habitue à la noirceur des portes closes. Peu à peu, on invente un mouvement pour habiter le corps. On croit que les mains ont voulu arracher l’étau. Se convainc d’un instant de sublime arrivé trop tard, quand la fin explosait en renaissance.
Lorsque les yeux dévient, on découvre une lettre clouée au sol. Il n’existe ni sang ni larmes pour brouiller les aveux. Tout est là, écrit à même la chair de la détresse. On reste seul devant l’évidence. Les mots nient les hypothèses d’épiphanie.
Derrière soi, on devine une présence. Le regard reste happé par la déroute.
On ne sent rien du mouvement de pendule qui nous envahit.
Il faut du temps pour sentir la chaleur de la main posée sur son épaule.

dimanche 15 février 2009

Dédales

Soudainement, on ouvre les yeux à la croisée des couloirs.
De tous les côtés, les murs étouffent. On ne sait pas comment on est arrivé là, incertains d’avoir marché. La panique vertige le corps.
Entre l’immobilité et la course, on choisit la course. Il sera impossible après de décrire les voies empruntées. Mais une certitude restera : d’être déjà passé devant le blanc des murs.
Il n’y a aucune trace qui parle de notre présence.
La tête tourne. On ralentit le pas, prend à gauche en jetant un oeil vers l’arrière. On avance sans regarder ce qui s’invente à la lisière avant des sens. On se retourne trop tard pour éviter le choc des corps. Dans le recoin d’un couloir sans issue, une femme, pendue, attendait d’être découverte.
Le réflexe du cri n’arrive pas.
Il faudrait faire demi-tour pour chercher de l’aide.

jeudi 12 février 2009

Chambranle

C’est là que tout s’arrête. Un film transparent empêche les morceaux de s’échapper. Il faut fendre le film à la lame d’un couteau pour qu’y pénètre une nouvelle parcelle d’os. Alors c’est l’explosion, la confusion totale entre l’en dedans et l’en dehors. On ne sait plus ce qui sort et ce qui entre, du sable glisse entre nos doigts écartés. Malgré nos efforts suprêmes pour tout conserver, on en perd toujours quelque chose.
Le film transparent est une fenêtre givrée. Givrée par les empreintes digitales de toutes les vaines tentatives d’intrusion. Givrée du sébum de toutes les collisions. On fronce les yeux, en vain, dans l’espoir de rétablir la vue. Mais ce n’est pas la vue qui trompe. C’est le temps.
Alors, il faut percer le film, c’est un geste d’un courage sans bornes. On ne peut le faire qu’au moment où la raison nous échappe.
Pendant un instant, s’accrocher à la folie du nécessaire.

mercredi 11 février 2009

Bourrasques

Au début, on ne sait pas d’où ça vient.
Ça siffle entre les vitres. À tout moment, tout pourrait éclater, pulvériser des tessons au travers des pièces. Il faudrait trouver une brèche où se terrer. Mais on reste debout, même lorsque les jambes flanchent. Même si le verre se loge au creux des pores. Ce n’est pas notre première rafale. On reste immobiles et silencieux, figés peut-être. Figés dans le souffle qui passe au travers des corps.
Ce n’est pas une catatonie. C'est une aigue conscience de l’extérieur.
Ça siffle entre les côtes; une fuite. Pénètre au goutte-à-goutte pour tout envahir. On reste cois. En attente de la fin. La sédimentation des verbes entre le diaphragme et les cris.
Ça s’apaise. Au début, on ne réalise pas que ça s’apaise.
On en ressort décoiffés.
Plus vivants, encore, que la seconde d’avant.

dimanche 8 février 2009

Apaisement

Ça cogne, tourne, débat et tourbillonne.
À l’intérieur du corps tout s’arrache de la surface. Plus rien que la tornade n’existe comme vrombissement au plus profond de la mémoire. Il faut se rappeler d’expirer. Expirer pour se convaincre d’espérer encore entre deux affolements du cœur, entre les dérapes toujours plus nombreuses et les pieds qui glissent sur des chaussées déjà sèches.
Tout à coup, on a peur. Une vaste peur qui prend là, directement où le cœur ne sait plus comment battre. Tout à coup, la peur dévaste jusqu’aux croyances et aux certitudes. C’est le vide qui pousse et bardasse pour s’installer. Le vide ne peut cohabiter avec rien à l’intérieur du corps.
Le vide reste. On ne sait pas combien de temps il reste. Puis le vide devient un espace.
Je ne veux pas d’un revolver sur ma tempe, je veux d’un baiser pour tout éteindre.

jeudi 15 janvier 2009

12. vertige

j’ai le vertige quand je sais que tu existes encore
que tu manges, dors, ris, bois, aimes
m’oublies