Note préliminaire:
Les textes que vous verrez sur ce blogue précédés de chiffres romains sont de courts essais que je dois écrire pour mon cours d'approche du travail créateur 2. Chaque semaine, je devrai en rédiger un ou deux en réponse à des articles ou des extraits d'essais apportés par mes collègues de classe. J'aimerais énormément avoir vos commentaires au sujet de ces textes (pour consolider ma pensée) et souhaite qu'ils permettent, dans la section «commentaires» l'ouverture de discussions, l'échafaudage de nouvelles façons de penser les arts, la littérature, le monde.
Essai écrit en réponse à l'article de Sylvie Ducas :
« Censure et autocensure de l’écrivain »[1]
Il est des sujets qu’il m’est difficile d’écrire auprès de mes proches; je crains leurs réactions. Mais je ne peux attendre d’être seule au monde. Il y aura toujours quelqu’un à qui je voudrai cacher quelque chose.
Dans son article « Censure et autocensure de l’écrivain », Sylvie Ducas parle de cette « impossibilité pour l’écrivain d’écrire du vivant d’un proche »[2] lorsqu’une publication du texte est envisagée. Elle explique que « [d]ans la mesure où publier, c’est “rendre public” ce qui relève initialement de la sphère privée que par bienséance ou pudeur l’on doit garder secrète, tout se passe comme si l’acte de publication transgressait ce postulat du silence en mettant en mots l’intime, donc en le violant »[3]. J’aimerais apporter à cet énoncé une nuance qui me paraît fondamentale.
À mon sens, la résistance ne se produit pas uniquement lorsqu’une publication[4] est envisagée. Il est en effet des textes que l’on n’ose écrire (que l’on censure), des thèmes que l’on camoufle sous des non-dits et des écrits que l’on cache à la lecture de certaines personnes (ou de tous) par crainte que l’Autre, celui dont on redoute le regard, puisse les lire. Je soutiens que même dans les textes cachés, cadenassés[5] à la lecture d’autrui, se trouvent des dissimulations de sens; une forme d’autocensure.
Nous sommes en droit de nous demander pourquoi, même lorsque ces textes sont destinés à rester cachés, nous pouvons y trouver cette autocensure. Entre d’abord en jeu la peur du regard de l’autre. « Que penserait-il de moi s’il trouvait un tel texte écrit de ma main? » semble se demander l’auteur. « Cesserait-il de m’aimer? » Mais s’en tenir à cette première supposition me semble être une erreur ou, enfin, une manière d’autocensure…
Pour ma part, je crois tenter de me leurrer moi-même lorsque je prétends craindre uniquement le regard d’autrui. J’appréhende plutôt de devoir m’avouer certains faits que je ne suis pas prête à assumer. Je crains le regard des autres sur moi, je crains de me percevoir au travers de leur regard parce qu’il n’est pas teinté de mes propres refoulements, de mes propres censures. Peut-être crains-je de trouver dans leur regard une forme de lucidité à mon endroit que je ne suis pas encore capable d’endosser.
Il me semble qu’il y a aussi, dans le fait de ne pas écrire certaines pensées qui nous troublent face à notre propre identité, le refus de les faire prendre corps dans un langage écrit, dans une forme qui transforme les idées en objets matériels. Parce qu’une idée, du moment où elle est écrite, devient réelle, devient concrète. Et dès lors, elle existe hors de nous et agit comme démonstration d’une construction identitaire.
Évidemment, comme le mentionne Ducas, cette autocensure peut aussi être à l’origine du développement de dispositifs littéraires visant à camoufler la vérité[6] du sujet. Mais il faut rester vigilant face à cet énoncé, puisque l’acte d’écriture comporte également, à mon sens, une part de travail sur l’identité du sujet écrivant. À toujours dissimuler derrière des procédés (conscients ou non) des parts de nos réflexions, n’y a-t-il pas un danger de ne pas confronter notre identité en construction à une matérialité qui, bien que déroutante, peut nous aider à avancer dans notre développement, tant personnel que littéraire?[7]
Certes, cette avenue n’est pas rassurante. Elle n’est pas non plus facile à envisager parce qu’une partie de l’autocensure se fait de façon inconsciente. Il faut parvenir, grâce à l’écriture, aux lectures des autres et à certains stratagèmes (la distanciation du milieu familial, par exemple), à trouver quelles sont les parts de nous-mêmes que nous tentons d’occulter. Mais même si cette avenue effraie, elle me semble inévitable si on désire ne pas toujours reproduire les mêmes textes, les mêmes actions.
[1] DUCAS, Sylvie, « Censure et autocensure de l’écrivain », Ethnologie française, XXXVI, 2006, 1, p. 111-119.
[2] Ibid, p. 113.
[3] Idem
[4] Ici, le terme « publication » est employé au sens mentionné précédemment, tel que défini par Sylvie Ducas.
[5] Pensons au journal intime cadenassé, caché entre deux matelas et soustrait à la connaissance de tous.
[6] À ne pas confondre avec « véracité ».
[7] J’adapte ici au développement de la pensée l’idée psychanalytique selon laquelle le rêve n’existe que lorsqu’il est raconté, mis en récit. Voir à ce sujet L’interprétation des rêves, de Sigmund Freud.
samedi 9 février 2008
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