dimanche 6 avril 2008

VII - Qui m'apprendra?


« Chapitre trois », dans En vivant en écrivant, Annie Dillard[1]

Voilà qui n’est pas bien loin de ces gens qui m’ont martelé les oreilles avec leurs choix de ne pas écrire. D’un côté, ces gens assurés de leurs capacités – refoulées – à être des écrivains ou, du moins, à écrire des livres; de l’autre, ces gens désireux d’apprendre une méthode qui leur permettra d’écrire, enfin. Dans les deux cas, il me semble qu’il y a erreur, mécompréhension de ce qu’est le travail d’écriture. Comme j’ai cette prétention à vouloir tenter l’expérience, comme je viens plus souvent qu’autrement m’abîmer contre les parois rigides des murs qui s’élèvent en obstacles à ma démarche, comme pour moi écrire, ça fait mal et c’est long, comme pour moi écrire relève du travail intellectuel ininterrompu – à l’épicerie, la nuit, en marchant, dans l’intimité, quand j’éternue, dans la douche (surtout) –, de l’élaboration d’un processus et d’une pensée, cette volonté à chercher une méthode d’écriture a tendance à me révolter. Règle générale, à part dire qu’il n’y en a pas, de maudite méthode – que dis-je!, de méthode maudite –, je me tais et je retourne travailler, un peu exaspérée.

Annie Dillard est bien plus ouverte que moi. Parce qu’à ceux qui lui poseront la question quant à savoir « Qui m’apprendra à écrire? »[2], elle a trouvé une réponse… respectueuse et intelligente. Surtout, intelligente, et qui rend hommage à ceux qui, comme elle, tentent l’expérience de l’écriture, et ce, malgré les douleurs qu’elle occasionne. Ce qu’elle répond : c’est la page qui t’apprendra à écrire. Ce sont les mots que tu y inscriras, que tu tenteras d’y inscrire, les mots qui ne sonneront pas comme tu le désirais, les mots qui te décevront, ceux qui te feront rêver alors que tu t’y attendais le moins – avais-tu déjà pensé que le mot sacoche puisse faire rêver? –, ce sont ces mots mis en relation les uns avec les autres qui t’apprendront à écrire, peu à peu. Il n’y aura pas de « satisfaction garantie ou argent remis ». Il t’appartient à toi de laisser ces mots s’inscrire dans cette page, dans cet espace de l’écriture. Il t’appartient d’y revenir, ou de chiffonner la page, de la jeter et de la regretter, de la garder et de n’y rien comprendre. Mais tant que tu n’iras pas t’asseoir, tant que tu ne travailleras pas encore et encore, tant que tu n’iras pas t’écraser contre le mur de l’écriture, tant qu’on ne te dira pas que les mots utilisés n’étaient pas les bons ou que ceux dont tu doutais étaient évocateurs, tu n’apprendras pas à écrire.

Tu sais, c’est toi qui t’apprendras à écrire.

[1] Annie Dillard, « Chapitre trois », dans En vivant en écrivant, Paris, Christian Bourgeois Éditeur, 1996, p. 57-79.
[2] Ibid., p. 78.

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