Est-ce sain d’être chamboulé par ses propres mots? Est-ce un gage, vraiment, d’une réussite? Je m’accapare mon passé et mon incompréhension par le langage en les faisant passer par moi, par mon corps, et j’ai l’impression alors d’avoir une prise sur le réel. Je le mets en forme. Je lui trouve une structure et, par mes lectures, je m’inscris peu à peu dans une filiation. Angot, Barthes, Desautels, Dupré, Duras, Fortin, Guibert. Mon nom comme appartenant à une lignée de douleurs. Une recherche de sens à ce qui n’en a pas, la mort précisément. Il n’y a rien de rationnel dans le geste, à la base, mais peut-être quelque chose de radical. C’est écrire pour colmater les brèches, sans savoir tout le temps quels sont ces vides. Ça évite peut-être parfois d’être catatonique tout le temps. Comme la photographie, cette entreprise permet un regard neuf sur le monde. Un nouvel angle de vue. Une autre possibilité. Quelque chose de la renaissance.
Barthes cherchait dans la photographie du Jardin d’Hiver l’essence de sa mère. Moi, je n’ai pas de photo de la femme morte. Elle n’était pas ma mère, c’est important de le dire. Je pourrais aussi avoir des photos d’elle, je sais que mon père en possède. Mais je n’en veux pas. Ce serait me plonger dans une époque que je tente de fuir. Je désire constituer ma propre image. Lui trouver un visage de suffoquée qui sera le mien juste à moi. Un visage sur lequel personne n’aura droit de regard, sinon au travers de mes mots, de ce que j’en dirai. Vous ne pourrez voir que ce que moi j’accepterai de vous montrer, avec ma pudeur à moi, mon malaise.
Cette entreprise ne sera pas facile.
J’irai chercher de l’aide, même si ça ne m’est pas naturel. Il y aura ma famille, avec la mémoire de chacun. Il y aura mes amis, des universitaires, avec leur savoir et leur support. Des inclassables et des collègues. Et des auteurs, évidemment. Puis tous ceux que je ne connais pas encore.
Il y aura des obstacles. La famille, la peur, la révolte, le temps, le travail, qui pour certains seront autant d’alliés.
Il y aura la mémoire qui ne cessera jamais de changer, de faire défaut tout en étant précise. Les souvenirs, jamais tout à fait les mêmes, contre lesquels je me battrai et tenterai de faire miens. Il y aura des photos, des romans, des paroles.
Peut-être qu’un jour j’accepterai qu’il y ait dans tout ça une histoire d’amour. L’Autre, que j’espère devant ma porte, tous les soirs.
Il y aura des juges, des critiques, des gens qui aimeront, peut-être. Et il y aura des gens qui seront déçus.
Moi aussi, dans toute cette histoire.
Puis la pendue, innommable.
Je ne me rappelle pas d’elle. C’est, dans toute cette entreprise, ce qu’il y a de plus terrible.
Écrire sur quelqu’un dont on n’a pas de souvenir. Quelqu’un qui n’a convié personne à sa mort, parce qu’au milieu de nous elle se sentait trop seule. C’est ce que j’imagine.
Il y aura tous ces mots pour tenter de la dire, de l’inventer. Pour tenter de me dire au travers de sa mort. Cesser de rejouer sa disparition futilement et tenter de passer à autre chose. Comme lever la tête et faire face à la vie, avec sa date butoire.
J’ai peur de mourir.
À quoi sert de vivre si c’est pour passer le temps et subir la vie? Je n’invente rien. Je voudrais seulement laisser une trace. Une écriture illisible dans un cahier.
C’est ça, ma tentative. Archiver la vie pour laisser une trace. D’autres l’ont fait avant moi. Se sont cachés en se révélant. Au travers des mots, d'autres se sont travestis. Les mots étourdissent, c’est très rassurant.
Tout ça, c’est une entreprise qui m’appartient, mais je ne sais pas par où commencer.
Demain, peut-être.
dimanche 24 février 2008
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2 commentaires:
est-ce que je peux trouver des mots pour exprimer ce que ton texte a produit en moi?
De l'émotion, bien sûr. J'en suis émue, touchée. Je t'observe avec une certaine admiration, non seulement pour ton talent, mais aussi pour ton courage.
Quand tu auras écrit ce livre, j'aimerais être encore dans les parages pour le lire.
Je t'offre un sourire qui pourrait te réchauffer le coeur.
Chère Caro!
Merci mille fois pour ton mot qui me touche à l'infini. Ça me réchauffe le coeur, tu peux en être certaine.
Pour le texte, il verra le jour un jour et je t'en parlerai.
AM xxx
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